Publié le 04 janvier 2019
SOCIAL
Entreprises, en 2019, musclez votre plan de vigilance !
En 2018, les grandes entreprises ont dû répondre à la loi sur le devoir de vigilance, que beaucoup d’entre elles avaient vivement combattu, en publiant leur plan d’action. En 2019, elles vont devoir mettre les bouchées doubles tant les premiers documents sont scrutés par les parties prenantes. ONG, syndicats et investisseurs attendent davantage de transparence et d’actions concrètes. Elles pourront même saisir le juge dès cette année.

@ismagilov
Le 12 décembre dernier, Orange recevait au sein de l’Assemblée nationale, un nouveau prix. Celui du "Meilleur rapport de vigilance". Son initiateur, le forum pour l’investissement responsable (FIR) (1), avait soutenu les ONG, syndicats et députés à l’origine de la loi sur le devoir de vigilance en 2017. Et ce contre une forte opposition des organisations patronales.
Pourtant, peu avant la cérémonie, les ONG comme Sherpa, le CCFD-Terre Solidaire ou le Collectif Ethique sur l’étiquette, diffusaient un communiqué rageur, regrettant un prix "récompensant une communication et non une mise en œuvre concrète". Comme l’avaient déjà montré les différentes études publiées sur le sujet (2), les premiers plans de vigilance publiés en 2018 sont effectivement loin d’être à la hauteur des attentes. Relativement succincts, ils décrivent généralement les risques et actions existantes, proposent peu de mesures de suivi et n’ont que très peu associés leurs parties prenantes…
Les plans de vigilance, un outil pour les parties prenantes
De plus, ces ONG regrettent qu'un tel prix associe l’État à travers la participation du Commissariat général au développement durable. Pour elles, le rôle de la puissance publique est "ailleurs" : dans "la publication de la liste des entreprises concernées par l’obligation de vigilance ainsi que dans le suivi et le contrôle de la mise en œuvre de la loi".
Pour Alexis Masse, le président du FIR, venu de la CFDT, "même s’il existe une grosse marge d’amélioration y compris chez les meilleurs, par ce prix, nous voulons inciter les entreprises à mieux faire et convaincre que le plan de vigilance est un outil utile pour les parties prenantes". Et c’est effectivement un point qui doit interpeller les entreprises. Ces derniers mois, les différentes parties prenantes, internes comme externes, se sont saisies de ces plans comme de nouveaux outils d’interpellation.
Au début de l’année, une vingtaine d’entreprises se sont vues interpellées par des ONG pour manquement à leur devoir de vigilance en matière de déforestation. Puis au mois d’octobre, des maires et associations ont interpellé Total sur sa stratégie climatique en pointant du doigt l’inconsistance de son plan de vigilance concernant le risque climat. Ils menacent de porter l’affaire en justice.
En parallèle, des syndicats internationaux menés par UNI Global pointaient une autre entreprise, Téléperformance, la seule du CAC40 à ne pas avoir publié son plan de vigilance, alors même qu’elle opère dans de nombreux pays à risques. Il aura fallu la pression des ONG pour pousser l’entreprise à remplir ses obligations, a minima.
En 2019, les mécanismes judiciaires entrent en vigueur
Le fait même que le FIR ait voulu mettre la lumière sur les plans de vigilance montre qu’il peut aussi être un outil pour les investisseurs. "La responsabilité du donneur d’ordres sur sa chaîne de sous-traitance est un thème important pour un investisseur responsable qui porte une attention particulière à la procédure d’achat", assure ainsi Alexis Masse.
Encore faut-il que les investisseurs posent des questions sur le sujet aux entreprises, ce qui reste encore relativement rare aux dires de ces dernières. Il faut aussi que les plans de vigilance soient suffisamment consistants. Or, plusieurs entreprises choisissent de passer sous silence certains risques, arguant de leur confidentialité, du risque juridique ou du secret des affaires.
2019 devrait marquer un tournant. Finie l’expérimentation : les mécanismes judiciaires entrent en vigueur. Les entreprises concernées, 150 à 200, pourront se voir enjoindre de mettre en œuvre le devoir de vigilance par un juge. En cas de dommages, elles pourront être tenues responsables si elles n’ont pas "correctement" identifié ou prévenu le risque, rappelle Tiphaine Beau de Loménie, juriste pour l’ONG Sherpa, dans un webinaire (3). Une "petite révolution" qui nécessite d’aller bien au-delà de la logique du reporting, souligne-t-elle.
Béatrice Héraud @beatriceheraud
(1) Le prix est organisé par le FIR avec le cabinet A2 consulting qui a assuré la partie méthodologique, consultable ici.
(2) Plusieurs études ont été publiées sur les premiers plans de vigilance, notamment celle de B&L evolution/Edh ou celle du cabinet EY.
(3) Le webinaire, organisé par le site RSE et PED est consultable ici tout comme le guide Sherpa sur les plans de vigilance.