Publié le 17 septembre 2025

Dans un rapport accablant, une commission d’enquête parlementaire dénonce les effets néfastes de TikTok sur la santé mentale des mineurs. En cause, un algorithme addictif qui amplifie la diffusion de contenus jugés dangereux. Si l’interdiction du réseau social aux moins de 15 ans est évoquée, le périmètre de la mesure pose question alors que de plus en plus de plateformes sont pointées du doigt pour leurs dérives.

“Le constat est encore pire qu’escompté”. Le 11 septembre dernier, la commission d’enquête parlementaire explorant l’impact de TikTok sur la santé mentale des mineurs a rendu publiquement son rapport. Adopté à l’unanimité, le document qui repose sur l’audition de près de 180 experts, influenceurs, associations ou encore jeunes utilisateurs du réseau social chinois, délivre des conclusions accablantes. “Le verdict est sans appel : cette plateforme expose en toute connaissance de cause nos enfants, nos jeunes, à des contenus toxiques, dangereux, addictifs”, résume le président de la commission, Arthur Delaporte.

Lancée à la suite de l’assignation en justice de TikTok fin 2024 par un collectif de sept familles pour avoir mis en danger leurs enfants, la commission d’enquête reconnaît aujourd’hui le rôle joué par l’application dans l’émergence de troubles psychologiques chez les internautes mineurs. “L’incitation à des comportements à risque, l’exposition répétée à des contenus nocifs et anxiogènes ou la survalorisation de normes corporelles irréalistes sont autant de facteurs qui peuvent accentuer la vulnérabilité psychique des enfants”, indiquent les auteurs du rapport.

“TikTok arrive en tête des usages”

Si l’on retrouve ce type de dérives sur d’autres plateformes, comme Instagram ou Youtube, elles touchent ici un public particulièrement jeune. “TikTok et Snapchat arrivent en tête des usages” chez les enfants et les adolescents, note Yasmine Buono, spécialiste éducation numérique au sein de l’association Net respect, interrogée par Novethic. Bien qu’elle soit interdite aux moins de 13 ans, l’application est en effet utilisée quotidiennement par 40% des 11-17 ans qui y passent en moyenne une heure et 28 minutes par session.

Problème, le réseau social est devenu un lieu de banalisation de violences, qu’elles soient racistes, sexistes ou encore antisémites. A cela s’ajoute la diffusion de vidéos de désinformation sur la santé mentale, enfermant les utilisateurs dans une boucle néfaste dont les jeunes filles sont les premières victimes. “Dans ce contexte de fragilisation de la santé mentale des jeunes, il convient de souligner un biais de genre notable, les filles étant plus fréquemment concernées par des troubles psychologiques que les garçons”, souligne la commission.

Une modération insuffisant

Des contenus préjudiciables dont la visibilité est amplifiée par un algorithme à l’architecture opaque. “TikTok se démarque par sa capacité à capter l’attention plus efficacement que les autres plateformes”, résume auprès de Novethic Amélie Deloche, co-fondatrice de Paye ton influence et spécialiste des réseaux sociaux. Grâce à son fil “pour toi”, l’application suggère des vidéos en lien avec les contenus déjà visionnés. “Mais très rapidement, l’algorithme peut changer ce qu’il propose en fonction d’une seule vidéo”, souligne Amélie Deloche.

Ce fonctionnement, qui favorise la création de “bulles de filtres” à l’insu des internautes, est largement pointé du doigt. En découle une “spirale” de contenus similaires potentiellement dangereuse, aggravée par un dispositif de modération insuffisante. Si l’entreprise chinoise affirme avoir supprimé 98% des contenus illégaux publiés en France en 2024, en grande partie grâce à l’intelligence artificielle, elle concède “des ratés”, permettant à certaines vidéos de “passer dans les trous du système”. Les effectifs dédiés à la modération des contenus francophones auraient en outre baissé de 26% entre 2023 et 2024.

Face à la sévérité de ces observations, Arthur Delaporte a immédiatement saisi la procureure de la République de Paris pour “mise en danger de la vie” des utilisateurs de l’application. Car les dirigeants de TikTok, dont certains ont été auditionnés par la commission parlementaire, ne semblent pas vouloir reconnaître la responsabilité de la plateforme dans ces dérives. “C’est une entreprise qui se fiche de la santé mentale de nos jeunes. Ils ont beau dire, chez TikTok, qu’ils y attachent beaucoup d’importance, ils ne font pas les efforts qu’ils pourraient facilement faire”, regrette la rapporteuse, Laure Miller, auprès du Monde.

Vers une interdiction aux moins de 15 ans ?

Pour mieux encadrer ces pratiques, les membres de la commission souhaitent s’attaquer à l’ensemble des applications, mais diffèrent sur les moyens à mettre en place. D’un côté, Laure Miller plaide notamment pour une interdiction des réseaux sociaux pour les moins de 15 ans et l’instauration d’un couvre-feu numérique pour les moins de 18 ans. Parmi les 43 recommandations listées, la rapporteuse évoque également une réglementation des algorithmes, le déploiement d’une campagne de sensibilisation mais aussi la création d’un délit de négligence numérique “afin de sanctionner les manquements graves de certains parents”.

Le président de la commission Arthur Delaporte appelle en revanche à viser directement les “géants du numérique” en les “régulant”, une interdiction faisant porter directement la responsabilité sur les utilisateurs. “Le périmètre même d’une telle interdiction, au-delà des questions de faisabilité technique et des contournements possibles, pose question : faut-il interdire YouTube, Whatsapp ou Telegram ?”, ajoute-t-il dans son avant-propos. Une question qui pourrait prochainement être élargie aux chatbots, devenus de véritables “coachs de vie pour beaucoup de jeunes” selon Yasmine Buono. Le 26 août dernier, les parents d’un adolescent américain ont ainsi porté plainte contre OpenAI, accusant son robot conversationnel ChatGPT d’avoir encouragé leur fils à mettre fin à ses jours.

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