Nouvelle étape dans le grand mouvement de dérégulation européen sur les normes de durabilité. Alors que le Parlement se déchire sur l’omnibus visant à simplifier les règles du Green Deal, la Commission européenne vient d’annoncer qu’elle comptait décaler l’adoption de ses actes délégués relatifs à la CSRD (directive sur le reporting de durabilité) pour les entreprises étrangères. L’institution vient en effet de publier une “kill list” de réglementations jugées “non essentielles”, qu’elle compte donc déprioriser. Parmi elles : les standards de reporting sur les thématiques sociales et environnementales qui devaient s’appliquer aux entreprises non européennes opérant en Europe.
Concrètement, l’Union européenne ne mettra donc pas en œuvre les obligations de reporting pour les entreprises extra européennes avant octobre 2027 comme prévu, et pourrait décaler ad vitam aeternam l’adoption de ces normes, essentielles pour préserver la juste concurrence entre les entreprises européennes et les entreprises étrangères.
Pressions de l’administration Trump et de la Chine
La décision intervient alors que les pressions américaines et chinoises notamment s’intensifiaient depuis plusieurs mois pour pousser l’Europe à renoncer à l’extra-territorialité de ses normes de durabilité. Le Green Deal, qui impose aux entreprises européennes de nouvelles obligations en matière de reporting social et environnemental, mais aussi en matière de respect des droits humains et environnementaux, avait en effet pour particularité de comporter une clause d’extra-territorialité. Ces nouvelles obligations devaient donc également s’appliquer aux entreprises extra-européennes opérant sur le territoire européen, dans une optique de préserver de bonnes conditions de concurrence et des pratiques sociales et environnementales harmonisées sur les marchés européens.
Une extra-territorialité qui faisait l’objet de résistances notamment aux Etats-Unis et en Chine. En janvier dernier, l’administration Trump, par la voix de la Chambre de commerce américaine, engageait un véritable bras de fer diplomatico-économique avec l’Europe, pour qu’elle renonce à ces normes, arguant d’un “impact sur la compétitivité des entreprises américaines”.
Donald Trump en passe d’attaquer les règlementations européennes de durabilité
Même son de cloche en Chine, qui fait pression depuis plusieurs mois sur la Commission afin qu’elle recule sur des normes qui obligeraient les entreprises chinoises (et notamment les géants de l’ultra-fast fashion Temu et Shein, mais aussi les constructeurs automobiles et entreprises manufacturières) à se plier au respect de normes sociales et environnementales européennes plus strictes.
Une décision qui “sape la portée souveraine du droit européen”
Si la décision ne concerne pour l’instant que les règles de reporting issues de la CSRD, le report pourrait être le signe que l’Union européenne est en train d’abdiquer entièrement ses velléités d’extra-territorialité pour le Green Deal, selon les observateurs européens. Car c’est surtout la directive sur le devoir de vigilance qui est en ligne de mire des américains et des chinois. La loi imposerait en effet aux multinationales étrangères de respecter les normes européennes sur le climat ou le respect des droits sociaux.
“Cette décision concernant les standards de reporting non communautaires sape la portée souveraine du droit européen”, estime ainsi Abrial Gilbert-d’Halluin, ex-sherpa de la CSRD au Parlement européen et spécialiste du sujet, qui fustige “un manque évident de courage politique lorsqu’il s’agit d’appliquer nos propres règles, en particulier vis-à-vis de la Chine et des Etats-Unis.” A l’heure où l’Europe s’alarme de la perte de compétitivité de ses entreprises, la décision de renoncer à appliquer les mêmes standards aux entreprises étrangères opérant en Europe apparaîtrait en effet comme un renoncement dangereux.