“Notre manière de nous mobiliser, c’est de court-circuiter l’économie française.” Au téléphone, Oriane Fagot est déterminée. Demain, mercredi 10 septembre, cette gérante du restaurant L’Évidence à Heyrieux (Isère) va proposer à ses clients une “ristourne” de 10% sur l’addition à condition d’un paiement en liquide. Le menu du jour, habituellement à 21,90 euros, passe à 19,90 euros. “On n’en peut plus des charges sociales, des charges énergétiques, des charges bancaires. On paye, on paye, on paye, nous les petits, on est en train de mourir”, témoigne-t-elle. “J’ai ouvert mon restaurant il y a deux ans, je dois me séparer d’un de mes chefs, j’ai deux enfants en bas âge que je ne vois pas. On n’en peut plus.”
Ce ras-le-bol, Oriane Fagot n’est pas la seule à le partager. Le 10 septembre marque la première mobilisation du mouvement “Bloquons tout”, une initiative née sur les réseaux sociaux dans un contexte d’exaspération sociale. Sans porte-parole déclaré, le mouvement est structuré de manière horizontale et se diffuse à travers des canaux comme Telegram, TikTok ou X. Il a émergé en réaction au “plan Bayrou”, un ensemble de propositions visant à réaliser 30 milliards d’euros d’économies publiques, via notamment la suppression de jours fériés et une réforme des aides sociales.
#10SeptembreSansCB #OnPayeCash
Sur Instagram, le mouvement interroge : “Où est notre argent ?”. En ligne de mire : les 250 milliards d’euros “versés aux actionnaires sous forme de dividendes ou de rachats d’actions”, les 100 milliards annuels de fraude fiscale estimés et les 211 milliards d’aides publiques accordés aux entreprises, “sans contrepartie ni contrôle”. La dénonciation est claire : une économie de rente, financiarisée, loin de l’intérêt général.
Dans cette dynamique contestataire, de nombreux internautes appellent à une “grève de la carte bleue”, sous les hashtags #10SeptembreSansCB ou #OnPayeCash. L’objectif est de boycotter les paiements électroniques, pour protester contre les commissions bancaires, la captation de données clients et la traçabilité des habitudes de consommation. Une affiche diffusée massivement sur X et Telegram avance des chiffres : si 10 millions de Français paient uniquement en liquide pendant un mois, ce seraient 15 milliards d’euros “détournés” du système bancaire. Un calcul invérifiable, mais qui agit comme un levier symbolique puissant.
💳 #10SeptembreSansCB
Tout le monde peut le faire. Une goutte d’eau qui peut devenir une vague. 🌊 pic.twitter.com/366EIMoTzs— Simple Citoyenne Engagée (@EngageSimp93934) July 29, 2025
Sur Facebook, c’est le mot-clé #OnPayecash qui prend le relais. Le compte “Opérations spéciales”, suivi par plus de 110 000 personnes et proche des réseaux des Gilets jaunes, y publie vidéos et témoignages appelant à “couper les vivres” au système bancaire et marchand. Dans une vidéo visionnée plusieurs milliers de fois, un participant déclare : “Si on est des millions à le faire, ça va mettre un coup d’arrêt à la machine. Elle se rappellera que c’est le peuple qui l’a élue.” Ce discours de rupture traduit une volonté de réappropriation du pouvoir économique au quotidien.
Une critique du système bancaire
Si le mouvement “Bloquons tout” peut rappeler la mobilisation des Gilets jaunes, il s’en distingue sur plusieurs points. Selon une analyse de la Fondation Jean-Jaurès, sa base est plus jeune, urbaine, diplômée et politisée vers la gauche radicale. Son discours est centré sur une critique redistributive du capitalisme. Antoine Bristielle, chercheur associé à la Fondation, observe que “le mouvement porte une vision de l’économie très éloignée des représentations libérales ou méritocratiques”.
La critique du système bancaire ne se limite pas à la dénonciation des frais ou du tracking. Elle met en lumière une défiance plus large envers l’emprise de la finance sur les choix politiques, au détriment des préoccupations écologiques et sociales. “En France, depuis de nombreuses années, le pouvoir politique pense d’abord à l’économie pour la grandeur de la France plutôt qu’à l’économie pour le bonheur de la population”, conclut un texte partagé sur le canal Telegram du mouvement.