Publié le 20 février 2024

Entre l’inflation et les crises du commerce mondial, la durabilité des chaînes d’approvisionnement passe au second plan, derrière l’optimisation des coûts notamment. C’est ce que montrent plusieurs enquêtes récentes sur le sujet.

Guerre en Ukraine, crise en Mer Rouge, inflation, ralentissement économique... Et si les crises géopolitiques et économiques mondiales, finissaient par miner les achats responsables dans les entreprises ? On pourrait le penser, à voir les récents sondages menés auprès des directions achat des entreprises françaises et européennes. Plusieurs études publiées ces derniers mois montrent que les priorités des acheteurs sont en train d’évoluer, face aux tensions globale.

Les priorités des directions des achats semblent en effet se tourner vers la sécurisation des approvisionnements et la recherche de baisse des coûts plutôt que vers la durabilité, les enjeux RSE (Responsabilité Sociale de l’Entreprise) ou le Made in France. Fanny Bénard, directrice générale du cabinet spécialisé en achats responsables BuyYourWay, explique : “depuis la guerre en Ukraine, et avec les événements récents, les acheteurs sont un peu débordés par les problématiques de ruptures sur leurs chaînes d’approvisionnement, ils ont des priorités à gérer”. C'est une tendance de fond, qui s'observe à la fois en France et à l'international.

Les directions achat chahutées par la multiplicité des crises

Selon une enquête menée par la société Ivalua et Sapio Research auprès de 850 acheteurs européens et publiée en fin d’année dernière, 57% des directions des achats déclarent en effet s’être tournées vers des fournisseurs moins chers plutôt que des fournisseurs durables en 2023. Près des deux tiers disent aussi avoir ralenti leurs efforts en matière de droits humains. En cause ? La hausse des coûts générée par l’inflation. Dans un contexte de crise globale des prix, les acheteurs priorisent leur porte-monnaie, et la durabilité de leur chaîne de valeur apparaît souvent comme un coût supplémentaire.

On observe le même phénomène pour le Made in France. Alors que l’intérêt pour le fabrication française dans les directions achat était en nette augmentation ces dernières années, poussé par la crise de la Covid-19, les chiffres pour 2024 marquent une inversion de la tendance. Ainsi, selon AgileBuyer, si 65 % des directions achat déclaraient le made in France comme un critère d’attribution de commande en 2023 (61% en 2022), le chiffre est retombé cette année à 47 %. Plus cher, il passe au second plan quand les acheteurs se focalisent sur les prix. Près de 22% des répondants le trouvent d’ailleurs trop coûteux, un chiffre en hausse de 5 points par rapport à 2023.

Mais c’est plus largement l’ensemble des politiques d’achats responsables qui sont mises à l’épreuve par la crise. L’inquiétude monte face à la hausse du risque économique global et l’instabilité du contexte géopolitique, qui menace le commerce mondial. Le baromètre de la supply chain de KYU Associés montre que ce sont bien ces risques qui inquiètent le plus les directions achat : la volatilité de la demande, les pénuries ou les crises géopolitiques qui affecteraient les chaînes d’approvisionnement mondialisées.

Achats responsables : entre réduction des coûts et stratégies de résilience

77% des directions interrogées par AgileBuyer déclarent ainsi qu’en 2024 la réduction des coûts sera leur objectif premier, et la majorité d’entre elles évalueront leurs politiques d'achat à l’aune des économies réalisées. Pour autant, cela ne signifie pas que les dynamiques d’achats responsables disparaissent totalement. Fanny Bénard explique : “le phénomène de recul est moins fort que ce qu’on aurait pu imaginer. Globalement, les bonnes pratiques menées restent en place : l’évaluation des fournisseurs notamment reste un axe fort, même s’il y a parfois moins de budget”. Elle ajoute : “on voit que la mise en place de nouvelles choses est freinée, mais la dynamique ne disparaît pas”.

Les acheteurs semblent aussi prendre conscience que leur résilience passe par l’élaboration de nouvelles stratégies d’achats : diversification, "nearshoring" (rapprocher ses chaînes d'approvisionnement), meilleure cartographie des risques sur leurs chaînes de valeur, prise en compte des critères de durabilité. 78% des acheteurs auront ainsi des objectifs liés à la durabilité ou à la RSE en 2024 selon AgileBuyer, objectifs qu'ils auront sans doute bien du mal à concilier avec les coupes budgétaires.

Le déploiement d’achats plus responsables est en quelque sorte coincé entre les priorités de court terme (réduction des coûts, optimisation) et les priorités de moyen terme (sécurisation, résilience). Et dans cet entre-deux, le temps et les ressources accordées à une vraie transition vers des achats responsables manquent. Les nouvelles réglementations comme la directive CSRD sur le reporting ESG des entreprises, ou la CSDDD sur le devoir de vigilance européen, viennent s’ajouter à ce contexte compliqué et obligent les acheteurs à repenser leurs pratiques professionnelles. Un défi de taille à l’heure où les entreprises doivent plus que jamais intégrer ces nouveaux enjeux à l’ensemble de leur chaîne de valeur pour accélérer leur transition durable.

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