Après des mois de controverses, la Science based target initiative (SBTi), cadre mondial de référence pour la décarbonation du secteur privé, a choisi son camp. Dans un document technique publié le 30 juillet, ses experts reconnaissent l’inefficacité de l’utilisation de la compensation carbone dans l’atteinte des objectifs climatiques des entreprises. Les crédits carbone, générés par des projets tels que la plantation d’arbres, les énergies renouvelables ou l’installation de cuisinières plus propres, censés réduire les émissions ou éliminer le dioxyde de carbone de l’atmosphère, sont utilisés par les entreprises pour réduire leur bilan carbone.
Mais depuis plusieurs années, de nombreuses enquêtes et études scientifiques ont révélé leur manque de fiabilité. Malgré cela, en avril dernier, le conseil d’administration de la SBTi avait décidé d’autoriser les compensations carbone dans l’atteinte des objectifs de réduction du Scope3, les émissions indirectes liées à l’utilisation du produit de l’entreprise, souvent les plus importantes. Provoquant une levée de boucliers en interne mais aussi en externe, certains observateurs dénonçant le fait que la SBTi avait cédé aux pressions de grandes entreprises privées et des acteurs de la compensation.
“Remettre les pendules à l’heure”
Les récentes conclusions de la SBTi sont claires : l’écrasante majorité des articles de revues de haute qualité et évalués par des pairs démontrent que les crédits carbone ne représentent pas les avantages climatiques qu’ils sont censés représenter, et que leur utilisation pour compenser les émissions au sein de la chaîne de valeur d’une entreprise pourrait conduire à un affaiblissement de l’action climatique mondiale.
“Cette évaluation des preuves de l’efficacité des crédits carbone renforce ce que nombre de scientifiques disent depuis des décennies : les crédits carbone quels qu’ils soient ne devraient pas être utilisés pour compenser des émissions provenant des énergies fossiles”, a ainsi souligné Doreen Stabinsky, membre du conseil technique de la SBTi.
“Ce document remet les pendules à l’heure pour SBTi, a également réagi Gilles Dufrasne, responsable des politiques sur les marchés mondiaux du carbone chez Carbon Market Watch. Il s’agit d’une réfutation claire de la déclaration d’avril du Conseil d’administration, où des individus spécifiques ont tenté de faire passer au bulldozer une proposition qui n’avait aucun soutien interne de la part du personnel ou des conseillers de la SBTi.”
Nouvelle norme fin 2025
Actuellement, les normes SBTi autorisent les crédits carbone pour “le dernier kilomètre”, c’est-à-dire les émissions résiduelles qu’on ne peut pas éviter ou à hauteur de 10% des émissions de l’entreprise, les 90% restant devant provenir de réductions directes. Un nouveau référentiel Corporate Net-Zero devrait être publié d’ici la fin de l’année 2025, et c’est dans ce cadre qu’ont été publiées les nouvelles conclusions sur les crédits carbone.
Fondée initialement par le Pacte mondial des Nations-Unies, le WWF, le World Resources Institute et le Carbon Disclosure Project (CDP), la SBTi est depuis peu financée par de grandes fondations philanthropiques d’entreprises comme le Bezos Fund de Jeff Bezos, le fondateur d’Amazon, qui finance également des systèmes de crédit carbone, comme l’a rappelé le Financial Times.
Face aux accusations de conflits d’intérêts, SBTi avait annoncé en début d’année qu’elle se scindait en deux : d’un côté l’organisme qui édicte les normes et de l’autre une équipe de validation des objectifs, activité commercialisée auprès des entreprises. En outre, la démission de son directeur général, Luiz Amaral, annoncé après le tollé suscité sur les crédits carbone, prend effet à compter de ce jour. De quoi restaurer la confiance dans l’initiative largement bousculée ces derniers temps.