Ce qui devait marquer un tournant historique pour la régulation climatique du transport maritime a finalement accouché d’un report. Vendredi 17 octobre, les pays membres de l’Organisation maritime internationale (OMI) ont décidé de repousser d’un an l’adoption du cadre “zéro émission nette” et du premier mécanisme mondial de tarification du carbone pour le secteur maritime. Ce report, soutenu par 57 pays contre 49 (et 21 abstentions), fait suite à une semaine de négociations tendues au siège londonien de l’organisation. Il a été proposé par Singapour, puis soumis au vote par l’Arabie saoudite.
La majorité des États membres s’était pourtant déjà prononcée en faveur du cadre en avril dernier, y compris l’Union européenne, le Brésil, la Chine, l’Inde ou encore le Japon. Ce texte, bien qu’imparfait aux yeux de certains pays du Sud, devait marquer un tournant : atteindre la décarbonation totale du secteur vers 2050 en contraignant les navires à réduire progressivement leurs émissions dès 2028, en leur faisant payer pour leurs émissions de gaz à effet de serre au-delà de certains seuils.
Mais cette dynamique a été brisée par les manœuvres des États-Unis, de l’Arabie saoudite, de la Russie et d’autres pays producteurs de pétrole, qui ont multiplié les obstructions tout au long des négociations. À la manœuvre : l’administration Trump, farouchement opposée à toute forme de régulation climatique multilatérale.
Des menaces pour bloquer un vote
En amont du vote, Donald Trump avait publiquement dénoncé le projet sur son réseau Truth Social, affirmant que les États-Unis “ne toléreront PAS cette arnaque verte mondiale sous forme de taxe sur le transport maritime”. Il a accusé le mécanisme de créer “une bureaucratie verte” et de menacer les consommateurs américains.
Washington est allé plus loin, menaçant plusieurs pays de représailles économiques s’ils soutenaient l’adoption du projet. Les sanctions évoquées incluaient des restrictions de visas pour les marins, des tarifs douaniers et des frais portuaires supplémentaires. Plusieurs délégués de pays en développement ont dénoncé ces pressions comme un “harcèlement”, “sans précédent” et “indigne de la diplomatie”. Le représentant brésilien a fustigé en séance plénière ces “méthodes”, espérant qu’elles “ne remplaceront pas la manière habituelle de prendre des décisions au niveau mondial”.
Un revers pour la justice climatique
Ce report repousse l’adoption du mécanisme à fin 2026, rendant incertaine son entrée en vigueur, initialement prévue pour 2027. Le système, qui aurait pu générer jusqu’à 15 milliards de dollars par an à partir de 2030, visait à financer des technologies vertes et à soutenir les pays vulnérables face à la crise climatique. Les réactions ont été nombreuses au sein de la société civile. “Le report du vote […] constitue une trahison envers les nations les plus vulnérables du monde”, déplore Teresa Bui de Pacific Environment. Emma Fenton, d’Opportunity Green, y voit “une condamnation accablante du manque de courage des États membres”.
Le ministre du Vanuatu, Ralph Regenvanu, résume le sentiment partagé par de nombreux petits États insulaires : “Cela est inacceptable compte tenu de l’urgence à laquelle nous sommes confrontés face à l’accélération du changement climatique. […] L’incapacité de l’OMI à adopter le cadre cette semaine marque l’échec de cette agence des Nations unies à agir de manière décisive.”
Des discussions relancées en octobre
Une session technique de l’OMI est prévue du 20 au 24 octobre pour poursuivre les discussions sur la mise en œuvre du cadre “zéro émission nette”. Mais après ce revers, beaucoup redoutent que les pressions diplomatiques s’intensifient à l’approche de la COP30, qui se tiendra en novembre à Belém, au Brésil. Pour Ralph Regenvanu, ministre du Vanuatu, “l’incapacité de l’OMI à adopter le cadre cette semaine marque l’échec de cette agence des Nations unies à agir de manière décisive contre le changement climatique. Cela rend le chemin vers Belém et au-delà plus difficile. Mais nous savons que le droit international est de notre côté et nous continuerons à nous battre pour nos populations et pour la planète.”
À quelques semaines de cette échéance cruciale, l’échec de l’OMI envoie un signal inquiétant sur la capacité du multilatéralisme à répondre aux enjeux climatiques mondiaux, face aux intérêts fossiles.