C’est la révolte au sein de l’initiative Science based target (SBTi). Cette dernière, initiée dans la foulée de l’Accord de Paris par l’ONG Carbon Disclosure Project (CDP), Le Pacte mondial des Nations unies, l’Institut des ressources mondiales (World Resources Institute) et le WWF, vise à construire un cadre de référence mondial validant les stratégies de décarbonation des entreprises. La SBTi est devenue au fil des années un véritable graal pour les entreprises s’engageant dans cette voie. Mais le 9 avril dernier, un communiqué du conseil d’administration est venu ébranler l’initiative.
Le conseil a annoncé son intention d’autoriser les entreprises à s’aider des crédits carbones pour atteindre leurs objectifs de Scope3, autrement dit les émissions indirectes liées à l’utilisation du produit de l’entreprise, souvent les plus massives. “Tout en reconnaissant qu’il existe un débat sain et permanent sur le sujet, la SBTi reconnaît que, lorsqu’elle est correctement soutenue par des politiques, des normes et des procédures fondées sur des preuves scientifiques, l’utilisation de certificats d’attributs environnementaux à des fins de réduction des émissions du champ d’application 3 pourrait fonctionner comme un outil supplémentaire pour lutter contre le changement climatique”, lit-on dans le communiqué.
“Le personnel est profondément préoccupé”
Une décision prise sans concertation avec le comité technique. Dans une lettre que Novethic a pu consulter, une “écrasante majorité” du personnel et des conseillers du SBTi réclame ainsi la démission du PDG Luiz Fernando do Amaral et d’une partie du conseil d’administration. “Le personnel est profondément préoccupé par le contenu de la déclaration et le processus par lequel elle a été élaborée et publiée. Nous nous sentons donc obligés d’émettre de multiples clarifications”, écrivent-ils.
Ils dénoncent ainsi un non-respect des “procédures opérationnelles normalisées” et des “processus de gouvernance” et rappellent que le comité technique n’a jamais été ni informé ni consulté sur le sujet et “n’a pas donné d’approbation sur une décision aussi importante”. Et poursuivent, sur le fond, en rappelant que “les crédits carbones ne sont pas autorisés pour la réduction des émissions conformément à la norme”.
Problématique d’un point de vue scientifique
Dans un billet LinkedIn, César Dugast, co-responsable du pôle Neutralité carbone de Carbone4 dépeint par ailleurs une décision “extrêmement problématique d’un point de vue scientifique”, compte tenu de “l’ampleur de la littérature académique démontrant le manque de robustesse du marché de la compensation volontaire et de l’incapacité des “offsets” à se substituer à de vraies réductions d’émissions à la source”.
L’ONG Reclaim Finance s’est également émue de la déclaration du conseil d’administration et dénonce un abus de son autorité. Si le conseil d’administration ne revient pas sur sa déclaration “je ne pourrai pas continuer à travailler avec le Groupe consultatif technique (TAG). Je ne participerai pas à un processus de normalisation qui pourrait potentiellement couvrir une opération de greenwashing”, a ainsi réagi Paul Schreiber, membre du TAG et analyse chez Reclaim Finance.
Le fonds Bezos en arrière-plan
Pour César Dugast, la SBTi a cédé aux pressions de grandes entreprises privées et des acteurs de la compensation. Et de fait, certains experts dénoncent depuis quelques années la direction prise par l’initiative. A l’origine crée par des associations, la SBTi a élargi ses services. Comme le rappelle le Financial Times, elle a levé des fonds auprès fondations philanthropiques privées comme la fondation Ikea ou le Bezos earth fund. “Le fond de 10 milliards de dollars soutenu par Jeff Bezos est également l’un des principaux sponsors d’un système de crédits carbone”, indique le FT qui raconte par ailleurs que le fonds Bezos a coordonné une réunion de deux jours avec le conseil d’administration et les bailleurs de fonds de SBTi à Londres le mois dernier pour évoquer notamment l’utilisation de la compensation dans la définition des objectifs.
“Les grandes entreprises auront donc désormais la possibilité de réduire artificiellement les émissions affichées dans leurs bilans, sans que cela se traduise par le moindre bénéfice pour le climat”, dénonce César Dugast. “Il s’agit d’un cas d’école de la manière dont le capital peut influencer la société civile pour l’amener à détruire sa propre raison d’être. Par cette décision, le SBTi renonce à sa mission de garde-fou contre le greenwashing, de boussole vers un mieux-être global, et de contrepoids face à la volonté croissante des corporations à se réclamer d’une victoire facile alors que tout reste encore à faire”, ajoute-t-il.