“Tout le monde doit payer sa part“. C’est par ces mots qu’Amélie de Montchalin, la nouvelle ministre des Comptes publics, a justifié l’intention de Bercy de travailler sur un plan “ambitieux” pour lutter contre la suroptimisation fiscale des personnes aux plus hauts revenus. Le thème de la justice fiscale, pour répondre aux inégalités sociales de revenus, semble de plus en plus porteur auprès du gouvernement au moment où il doit trouver des fonds pour réduire le déficit public. Le précédent gouvernement de Michel Barnier avait opté pour une “Contribution différentielle sur les hauts revenus”, qui aurait été temporaire. Cette fois, le ministère de l’Economie semble opter pour un contrôle plus strict des niches fiscales même si, selon un article de L’Opinion, une nouvelle taxe sur les hauts patrimoines n’est pas exclue.
Il ne s’agit pas uniquement de lutter contre la fraude ou l’exil fiscal, mais contre l’utilisation abusive des dispositifs de réduction de l’impôt par les personnes les plus fortunées. La ministre, dans une interview sur France 2, cible notamment le fait d’utiliser des montages fiscaux complexes en passant par des sociétés holding. Dans une étude de juin 2023 intitulée “quels impôts les milliardaires paient-ils ?”, l’Institut des politiques publiques (IPP), un centre de recherche commun entre PSE-Ecole d’économie de Paris et le Groupe des écoles nationales d’économie et de statistique (GENES), montrait comment les personnes les plus fortunées parvenaient à réduire leur taux d’imposition sur le revenu.
L’impôt devient régressif pour les milliardaires
Selon les chercheurs, la progressivité de l’impôt qui permet une plus juste répartition de la richesse, fonctionne bien jusqu’à un niveau très élevé de revenus, autour de 600 000 euros annuels. Mais au-delà, ils constatent que l’impôt devient régressif. Le taux d’imposition global des 0,1% les plus riches atteint en effet encore 46%, mais il tombe à 26% pour les 0,0002% les plus riches, que l’IPP appelle les milliardaires. L’explication tient justement au fait que ces milliardaires possèdent des entreprises, qui constituent la majorité de leur richesse. Ces entreprises sont elles-mêmes imposées avec l’impôt sur les sociétés, mais dont le taux est bien plus faible que l’impôt sur le revenu. Si les milliardaires étaient réellement taxés en fonction de l’impôt sur le revenu, leur taux devrait alors atteindre 59%, souligne le centre de recherche.
“Au-delà d’un certain niveau, ce qui permet d’être riche ce n’est pas le revenu mais le patrimoine et les revenus non distribués logés dans des holdings“, confirme Layla Abdelké Yakoub, responsable de plaidoyer justice fiscale et inégalités chez Oxfam. L’ONG, qui travaille depuis de nombreuses années sur le thème de la justice fiscale, se réjouit du fait que le gouvernement veuille s’attaquer au taux d’imposition des plus riches. Mais elle met en garde contre des solutions trop simplistes. “Il faut aller au bout du problème et le voir dans un cadre plus large que le seul revenu“, soutient Layla Abdelké Yakoub.
Une taxe sur le patrimoine des milliardaires en réflexion
Le futur plan d’action du gouvernement pourrait par ailleurs bénéficier d’un élan international. Les pays du G20 et de l’OCDE envisagent en effet de taxer les milliardaires au niveau de leur patrimoine. L’initiative a émergé lors du G20 de Sao Paolo de février 2024, soutenue notamment par le Brésil et la France, puis les ministres des Finances avaient signé un accord en juillet 2024 pour coopérer sur le sujet. La présidence brésilienne du G20 a demandé à l’économiste Gabriel Zucman qui préside l’Observatoire fiscal de l’Union européenne, d’émettre des préconisations pour rétablir la progressivité de l’impôt pour les plus riches.
Gabriel Zucman propose ainsi de créer une imposition minimum équivalente à 2% du patrimoine des personnes dont la fortune dépasse le milliard de dollars, en tenant compte de leurs actifs, de leurs biens mobiliers et immobiliers, des entreprises qu’ils détiennent, etc. Cet impôt permettrait, selon les calculs de l’observatoire, de lever entre 200 et 250 milliards de dollars d’impôt dans le monde auprès de seulement 3 000 individus.
Cet impôt mondial est encore loin de voir le jour. Mais il s’inscrit dans le cadre plus large de la taxation des multinationales sur lequel l’OCDE travaille depuis plus de quinze ans, et qui a abouti à la mise en place de dispositifs pour empêcher l’optimisation fiscale agressive des multinationales, tels que l’échange d’informations fiscales entre pays ou encore la création d’un taux d’imposition sur les sociétés minimum de 15%.