Publié le 16 janvier 2023

SOCIAL

"La baisse des ventes de véhicules profite aux constructeurs automobiles", selon Aurélien Bigo

La baisse des ventes automobiles n'est une bonne nouvelle ni pour le climat, ni pour les particuliers. C'est ce qu'explique à Novethic le chercheur sur la transition énergétique des transports, Aurélien Bigo. Il décrypte la stratégie des constructeurs : vendre moins mais plus chers des véhicules surdimensionnés et suréquipés, loin de la sobriété nécessaire. Selon lui, les principales victimes de cette stratégie sont "les particuliers les moins aisés".

Voitures suv istock
Plus grosses, plus lourdes, suréquipées... les nouvelles voitures sont bien loin de suivre une trajectoire de sobriété.
iStock

En tant que spécialiste de la transition énergétique, vous faites un premier constat : la vente de voitures neuves n’a jamais été aussi basse depuis 1975. Comment l’expliquez-vous ?

On constate en effet une baisse sur l’année 2022 qui fait suite à des niveaux très bas sur les dernières années. Dès 2020, le Covid et les confinements ont bien sûr impacté le marché. Pendant toute cette période de crise économique, les véhicules ont été livrés en retard. À cela se sont ajoutées des pénuries de composants électroniques qui ont imposé aux constructeurs de prioriser certains véhicules au détriment d’autres. On pense aussi à des contraintes liées à la guerre en Ukraine avec une inflation sur les matières premières qui ont pu renchérir le prix des véhicules.

Mais cette baisse n’est pas nouvelle. Depuis 1975, on était plutôt autour de 2 millions de ventes par an. Or, sur la décennie 2012-2021, on a seulement trois années au-dessus de 2 millions. En moyenne, on évalue que les ventes ont baissé de 10 % par rapport à la décennie précédente. À supposer que cette baisse soit durable, le tournant n’a pas eu lieu en 2020 mais a débuté plus tôt.

Logiquement, on peut se dire que les constructeurs sont les premières victimes de cette baisse. Or, vous dites qu’elle répond en fait à une stratégie de leur part ?

On ne sait pas qui est de la poule ou de l’œuf. Est-ce que les constructeurs ont réussi à s’adapter au mieux à ces enjeux conjoncturels ou ont-ils poussé le marché vers une baisse des ventes ? En tout cas, financièrement, ils s’en sortent très bien parce que derrière ce ralentissement, leur stratégie a été de se tourner vers des véhicules plus chers, plus lourds, plus équipés, sur lesquels ils vont avoir plus de marge. Aujourd’hui, les véhicules sont clairement surdimensionnés, autant les thermiques que les électriques.

Donc la baisse des ventes entraîne finalement un surcoût pour les consommateurs ?

Les usagers sont en effet les premiers perdants. Sur le marché du neuf, les prix d’achat sont bien plus importants. Et il y a des effets en cascade ! Une partie des particuliers se sont tournés vers l’occasion pour renouveler leur véhicule, ce qui a tendu le marché de l’occasion sur lequel les prix de vente ont aussi très fortement augmenté. Les effets de la hausse des prix des véhicules se sont fait ressentir pour la grande majorité de la population, y compris celle qui n’a pas les moyens d’acheter sur le marché du neuf. Pour bien comprendre les ordres de grandeur, le marché de l’occasion c’est 5,2 millions de ventes en 2022. Pour moi, les principales victimes sont les particuliers les moins aisés.

Et d’un point de vue environnemental, la baisse des ventes des véhicules n’est pas une bonne nouvelle ?

Intuitivement on pourrait le croire, mais ce n’est pas le cas. On pourrait supposer que la baisse des ventes est le témoignage d’un report vers des mobilités durables. Mais les pratiques des usagers n’ont pas évolué. Le marché s’est orienté vers des véhicules lourds, peu sobres, notamment une part importante de SUV qui représentent maintenant 45% des ventes en général. Ces véhicules sont moins aérodynamiques, plus dangereux, avec des consommations d’énergie plus importantes. Même en termes d’espace, ils prennent plus de place !

D’un point de vue environnemental et social, la tendance ne va pas du tout dans le bon sens. L’État aurait dû réguler beaucoup plus fortement le marché pour se tourner vers des véhicules plus sobres, ce qu’il n’a pas du tout fait. Il se retrouve dans une situation non anticipée et aujourd’hui les véhicules proposés sur le marché ne sont pas compatibles avec les réels besoins des usagers.

Que faudrait-il mettre en place pour changer la donne ?

Même si on imagine que le gouvernement et les pouvoirs publics soient soudain à la hauteur des enjeux, il y aura un temps d’inertie avant de voir les effets concrets sur le marché du neuf. On a eu quelques évolutions qui vont dans le bon sens mais le niveau est insuffisant. Il y eu notamment deux choses intéressantes. D’abord le bonus pour les véhicules électriques valable seulement pour les véhicules de moins de 2,4 tonnes. C’est un seuil extrêmement élevé mais c’est la première fois qu’il y a cette limite-là sur le poids.

Ensuite le bonus écologique sur les véhicules électriques ne s’applique que sur les véhicules de moins de 47 000 euros. Cela exclut de fait tous les véhicules de plus de 2 tonnes vu les prix. C’est un début, mais il faudrait une rupture d’incitation pour les véhicules neufs afin que les plus lourds soient défavorisés. Et au contraire favoriser les véhicules intermédiaires entre le vélo et la voiture, bien plus sobres et accessibles financièrement.

Car l'autre enjeu est de ne pas calquer le développement de l’électrique sur le thermique. Pour cela, il faut repenser l’usage de la voiture. On le voit dans la stratégie de transition bas-carbone, on mise sur le volet technologique sans activer suffisamment les leviers de sobriété (modération de demande de transport, report modal, amélioration de remplissage des véhicules, baisse du poids des véhicules, baisse de la vitesse). Ce n’est pas seulement d’une transition technologique dont on a besoin. 

Propos recueillis par Marina Fabre Soundron @fabre_marina


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