La France va-t-elle se lancer dans les méga-fermes ? Si les débats autour de la loi Duplomb se sont concentrés tout au long de l’été sur l’acétamipride, un néonicotinoïde controversé, une autre disposition prévue par le texte suscite l’inquiétude des associations environnementales. Il s'agit de l’article 3 de la loi, validée par le Conseil constitutionnel. Il vise à faciliter l’installation et l’agrandissement des élevages en France, ouvrant ainsi la voie à la multiplication des mégafermes. Mais "est-ce vraiment ce modèle là que l’on souhaite encourager ?", interroge Thomas Uthayakumar, directeur du plaidoyer de la Fondation pour la nature et l’homme (FNH).
Afin d’éclairer ce débat, l’organisme s’est penché - avec l’appui du bureau d’analyse Basic - sur la filière porcine française dans un nouveau rapport publié le 6 octobre dernier. Des travaux qui posent un diagnostic alarmant : le modèle de l’élevage de porcs coûte cher à la société et à l’environnement en raison de sa dépendance aux marchés mondiaux et de l’accroissement des épizooties. "Le consommateur est la variable d’ajustement, résume Thomas Uthayakumar lors d’une présentation de l’étude à l’Assemblée nationale. Il paye trois fois : au supermarché, puis au travers des impôts et enfin de la sécurité sociale".
"Le problème principal, c’est la concentration"
Les conséquences sanitaires de la surconsommation de charcuterie, qui concerne 63% des Français, sont loin d’être négligeables. Au total, les dépenses de santé associées à cette famille d’aliments s’élèvent à 1,9 milliard d’euros chaque année en France. Sept pathologies, dont le diabète, le cancer colorectal ou l’insuffisance rénale, y sont liées selon le Global Burden of Disease, une étude de référence mondiale sur les facteurs de risques sanitaires. Cela est notamment dû à la présence de nitrites dans les charcuteries "en dépit des alertes de santé", souligne Elyne Etienne, responsable élevages durables à la FNH.

Du côté de l’environnement, le bilan est là aussi inquiétant. "Le problème principal, c’est la concentration, note Elyne Etienne. La filière a fourni des efforts sur la consommation de soja, les pesticides, les antibiotiques… Mais autant d’animaux concentrés sur un territoire spécifique engendre des émissions d’ammoniaque et des excès d’azote, qui sont à l’origine de la prolifération d’algues vertes et affectent la potabilité de l’eau". Pour prévenir et traiter ces pollutions, l’Etat, les collectivités locales et les agences publiques dépensent 162 millions d’euros par an. Une estimation "prudente" à laquelle pourrait s’ajouter le coût des pollutions liées à la culture des céréales pour l’alimentation porcine, la dégradation d’écosystèmes marins ou l’indemnisation des victimes d’algues vertes.

Transition de la filière à 2040
Et la facture ne s’arrête pas là. La filière bénéficie également d’aides publiques, en amont et en aval, à hauteur de 823 millions d’euros, et ce "sans aucune conditionnalité et sans enrayer la baisse des emplois", précisent les auteurs du rapport. Car en s’orientant vers un modèle de plus en plus intensif, le secteur a entraîné des destructions d’emplois. En vingt ans, les élevages ont ainsi vu les équivalents temps plein baisser de 70%. Le développement des exploitations industrielles a en outre exacerbé les inégalités de revenus entre les acteurs de la filière.

Mais alors, "comment faire de la filière un atout pour les agriculteurs et les consommateurs, et non un fardeau ?", interroge Thomas Uthayakumar. La FNH propose de planifier la transition de la filière à 2040 en partant des consommateurs, notamment par le biais d’une Stratégie Nationale Alimentation Nutrition Climat (SNANC) ambitieuse. Bloqué depuis 2 ans par les gouvernements successifs notamment sous la pression des lobbies agroalimentaires, le texte n'a toujours pas été publié. La dernière version fuitée supprimait même toute référence à la réduction ou à la limitation de la consommation de viande, alors même que les ministères de l’Agriculture, de la Santé et de la Transition écologique s’étaient accordés sur des formulations consensuelles.
La fondation appelle également à conditionner les subventions publiques et exonérations fiscales à des critères sociaux et environnementaux, à créer un fonds de transition agroécologique ou encore à lancer un plan de désendettement des éleveurs. Sans oublier d’intégrer la grande distribution, pour laquelle la charcuterie et les produits à base de porc représentent 7 milliards d’euros de chiffre d’affaires.







