Publié le 31 juillet 2023
GOUVERNANCE D'ENTREPRISE
Grève au JDD contre les valeurs de Vincent Bolloré, influence sur laquelle enquête la Commission Européenne
Le Journal du Dimanche ne parait plus depuis cinq semaines à cause de la grève quasi-totale des journalistes contre la nomination à sa tête de Geoffroy Lejeune, personnalité d’extrême droite. Cette décision, confirmée par le groupe Lagardère, est au centre d'une enquête lancée par la Commission européenne. Celle-ci cherche à savoir si la prise de contrôle par Vincent Bolloré à travers Vivendi, n'a pas commencé avant la date officielle début juin. Si tel était le cas, la soumission à la ligne idéologique de Vincent Bolloré du JDD, mais aussi de Paris Match ou Europe1, pourrait être remise en cause.

@ALAIN JOCARD / AFP
Alors que la date butoir du 1er août, fixée officiellement par Arnaud Lagardère pour installer Geoffroy Lejeune à la tête du Journal du Dimanche, se rapproche, l’impasse est totale. Les journalistes votent quotidiennement la reconduction de la grève à plus de 95% pour demander de renoncer à nommer l’ancien directeur de la rédaction de Valeurs Actuelles, également soutien affiché d’Eric Zemmour, à la tête de l’hebdomadaire. Les journalistes demandent "des garanties d’indépendance juridique et éditoriale".
La rédaction du JDD a voté ce vendredi 28 juillet à 96 % en faveur de la reconduction du mouvement de grève.
Les journalistes du JDD restent toujours aussi déterminés à obtenir des garanties sur l'indépendance éditoriale et juridique de leur rédaction. pic.twitter.com/6hxYe99ycz— Sdj JDD (@SDJduJDD) July 28, 2023
Les négociations sont rompues depuis le 24 juillet, ce qu’a annoncé le groupe Lagardère par communiqué, réaffirmant que Geoffroy Lejeune prendrait ses fonctions le 1er aout et préparant l’ouverture d’un plan de départ à l’automne. La bataille menée par les journalistes du JDD dépasse largement leur seul journal et pose plus globalement la question de l’indépendance des médias vis-à-vis de leur actionnaire principal.
"Là ou Bolloré passe, le journalisme trépasse"
La liberté de la presse étant protégée en France, ils espéraient que les précédents mouvements contre la "bollorisation" de médias, comme I-Télé ou Paris Match, auraient permis une mobilisation plus franche et massive ainsi qu’un soutien gouvernemental. Car le schéma appliqué au groupe Lagardère est le même que celui adopté par Vincent Bolloré pour Vivendi. Il a pris le contrôle d’une entreprise cotée. Ce que sa fortune, acquise en bourse et en Afrique, lui permet de faire sans difficultés. Il a ensuite imposé sa ligne en nommant des dirigeants, d’autant plus acquis à sa cause qu’il a réussi à transformer une entreprise du CAC40 en groupe familial.
La stratégie de prise de contrôle du groupe Lagardère, toujours officiellement dirigé par Arnaud Lagardère qui en a hérité, a fait l’objet d’une longue instruction de la Direction de la concurrence de la Commission Européenne. Elle a finalement autorisé le rachat le 9 juin dernier mais a ouvert une enquête pour vérifier que la prise de contrôle n’était pas mise en œuvre bien avant. Le groupe Vivendi risque dans ce cas une amende pouvant aller jusqu’à 10% de son chiffre d’affaires.
Reporters Sans frontières, une des ONG qui bataillent contre l’influence de Bolloré sur les médias français avait demandé cette enquête. Invité sur France Inter le 1er juillet, son secrétaire général Christophe Deloire, rappelait les éléments suivants : "Ce que l'on a expérimenté à chacun de ses rachats c'est que, là ou Bolloré passe, le journalisme trépasse. C'est un ogre qui digère les médias et les transforme en organe d'opinion. (...) On a fait une étude dans le cadre d'un recours contre l'Arcom au Conseil d'État, il y a à peu près 13% des contenus qui sont réellement informatifs. Le reste c'est de l'opinion, de l'opinion tranchée, de l'opinion à jet continu dans le même sens ou quasiment."
Controverses à répétition pour TPMP
Si cette ligne conduit à une multiplication des saisines des régulateurs comme l’Arcom, elle a grandement contribué au score de 7% d’Éric Zemmour aux Présidentielles de 2022. Le porte-voix de Vincent Bolloré, le plus visible médiatiquement parlant, reste Cyril Hanouna. Parmi les controverses à répétition qu’il déclenche à l’antenne, celle des insultes contre le député Louis Boyard qui osait s’en prendre à Vincent Bolloré, est restée dans les annales. Dernière affaire en date, une amende 500 000 euros infligée à "Touche pas à mon poste" pour avoir laissé à l’antenne un complotiste notoire donner le nom de célébrités qui "boivent le sang des enfants".
Ces deux éléments donnent une idée de ce que tentent de combattre les journalistes du Journal du Dimanche. Pour que cela ne soit pas un ultime baroud d’honneur, plusieurs ONG spécialisées, dont "Un bout des médias", organisent des actions de soutien et en appellent aux parlementaires pour qu’ils s’engagent envers l’indépendance des médias. Si le combat est crucial pour la démocratie, il l’est aussi pour la lutte contre le changement climatique.
La place donnée aux climato-sceptiques par CNews est régulièrement dénoncée par l’association Quota Climat qui rappelle que "seuls 11 % des Français s’estiment bien informés sur le changement climatique". Elle prépare avec d’autres organisations un "projet de loi transpartisan pour améliorer le traitement médiatique de l'écologie", projet pour lequel des garanties juridiques sur la liberté de la presse sont indispensables.
Anne-Catherine Husson-Traore, directrice des publications de Novethic