Publié le 15 novembre 2022
GOUVERNANCE D'ENTREPRISE
Les insultes à l’antenne de Cyril Hanouna contre le député Louis Boyard montrent les limites de la régulation de la télévision
La scène surréaliste de l’émission phare de Cyril Hanouna, TPMP, a fait le buzz depuis sa diffusion en direct le jeudi 10 novembre au soir. L’animateur y a couvert d’insultes le jeune député LFI, Louis Boyard, qui tentait d’évoquer les affaires africaines de Vincent Bolloré, actionnaire principal du groupe auquel appartient C8. L’Arcom a été saisie et une plainte pour injure publique envers une personne chargée d’une mission de service public devrait être déposée. Que risque le récidiviste des dérapages non contrôlés à l’antenne ? Pas tant que ça au vu des sanctions précédentes.

@Capture d'écran
Les polémiques sur l’émission phare de Cyril Hanouna, Touche pas à Mon Poste (TPMP), s‘accumulent depuis des années sans qu’il ne semble possible de donner un coup de frein au roi du talk et de la provocation qui s’enorgueillit de ses audiences. Entre un et deux millions de spectateurs regardent l’émission qui capte plus de 10% de parts de marché sur les moins de 50 ans. Cyril Hanouna tient l’antenne depuis dix ans, sur D8 d’abord avant qu’elle ne devienne C8 après la prise de contrôle par Vincent Bolloré du groupe Canal Plus, puis de sa maison mère Vivendi.
TPMP c’est une décennie de dérapages divers sur lesquels le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) est intervenu à plusieurs reprises à la suite de plaintes de spectateurs. En 2017, elles concernaient des propos homophobes. Certains annonceurs se sont retirés et Cyril Hanouna a fini par publier une lettre d’excuse. L’année suivante c’est pour apologie de la culture du viol qu’il défraie à nouveau la chronique et que le CSA doit à nouveau intervenir. Les violations répétées des conventions fondamentales sur les droits humains par Cyril Hanouna contredisent les engagements du groupe Vivendi en particulier auprès des plus jeunes. Peu importe ! Mieux vaut débarquer la responsable RSE qui lance l’alerte sur les risques que cela implique pour l’entreprise.
Une coloration politique donnée à l’émission
Tous les rappels à l’ordre n’empêchent pas l’animateur d’amener son style provocateur sur le terrain politique, sur lequel il biaise les débats. La loi qui encadre les temps de parole politique à la télévision date de 1986, une époque où n’existaient ni les chaînes tout info, ni Internet, ni les réseaux sociaux. Cyril Hanouna profite du vide juridique sur les émissions de divertissement pour apporter une coloration politique à droite toute.
Les travaux de Claire Sécail, la sociologue du CNRS qui a analysé 200 heures d’émissions entre septembre et décembre 2021, ont démontré la place privilégiée accordée à Eric Zemmour et aux thèses d’extrême droite dans TPMP. Cela représentait 45% du temps d’antenne sur cette période. À titre de comparaison, Emmanuel Macron ne totalisait que 22% de temps d’antenne et Yannick Jadot 1,3% ! Interviewée par France Inter, Claire Sécail déclarait : "Je n'imaginais pas trouver une telle porosité avec la stratégie de Vincent Bolloré dans une émission de divertissement dont le titre à l’origine est un hommage au slogan de SOS Racisme, Touche pas à mon pote".
Allez savoir pourquoi, #Hanouna n'est pas exactement le même selon qu'il est face à Jordan Bardella ou Louis Boyard.
Heureusement pour la crédibilité de TV-#Bolloré, la nuance est infime.
via @ChristopheBexpic.twitter.com/56LVETgcjW— Реми φ (@Callystor) November 10, 2022
Jeudi 10 novembre 2022, Cyril Hanouna a franchi un nouveau cap en couvrant avec des insultes la voix de Louis Boyard, jeune député LFI qui tentait d’évoquer les affaires africaines de Vincent Bolloré et son rôle dans la déforestation du continent. Le député lui reproche de faire monter le racisme en France, Cyril Hanouna lui répond qu’il est le premier "à défendre le racisme en France (sic)", avant d’enchaîner les insultes "tocard, abruti, etc.". Saisie, l’Arcom qui a remplacé le CSA depuis le 1er janvier 2022, a déclaré le lendemain à l’AFP qu’elle allait "examiner la séquence au regard des obligations de l’éditeur et qu’ils allaient passer au crible chaque phrase pour le cas échéant passer à une instruction avant de prendre une décision".
Un appel à prendre des sanctions
En attendant le résultat de cet examen attentif, la vidéo a été visionnée des millions de fois sur les réseaux sociaux où les partisans de Louis Boyard ont rebaptisé TPMP "Touche Pas à Mon Patron". Les deux protagonistes ont annoncé vouloir porter plainte l'un contre l'autre. Théoriquement, Cyril Hanouna risque 7 500 euros d’amende et six mois d’emprisonnement pour avoir insulté un député. En revanche, on peut douter que l’Arcom s’empare de cette affaire pour rappeler à la chaîne que la séquence n'est pas compatible avec son cahier des charges. C’est ce que suggère Julia Cagé, présidente de l’association Un bout des médias, qui appelle à profiter du dernier esclandre de Cyril Hanouna pour prendre des sanctions. La Commission d’enquête parlementaire sur la concentration des médias organisée en début d’année n’a pas donné grand-chose.
Mes chéris je suis entier, loyal, sincère, et je serais tjs moi-même à l antenne. Je suis sanguin et vrai comme certains politiques. La seule chose que je regrette c de l avoir insulté c pas un bon exemple. Pour le reste je ne regrette rien et je défendrais tjs mes amis. Je vs
— Cyril Hanouna (@Cyrilhanouna) November 13, 2022
Au vu de l’ampleur de la polémique, Cyril Hanouna a publié un tweet pour regretter de s’être laissé aller à insulter son invité. Sans toutefois s'excuser et avant d'enchaîner avec une nouvelle émission, lundi 14 novembre, entièrement consacrée à "l'affaire Louis Boyard". Après l'intervention des chroniqueurs et de trois députés (LR ,Renaissance et Rassemblement national) qui ont défendu le présentateur de TPMP, celui-ci a repris une technique largement éprouvée par Bolloré : celle de l'attaque comme meilleure défense. Il a ainsi dégainé les cachets qu'avaient perçu Louis Boyard à l'époque où il était chroniqueur de l'émission - 6 784 euros touchés entre août 2021 et janvier 2022 - sans qu'on comprenne bien le lien avec l'affaire, et promis d'attaquer en justice le député.
C'est la fameuse stratégie du procès-bâillon, à laquelle s'adonne Vincent Bolloré dès qu'il est attaqué, et qui consiste à étouffer la voix d’un acteur hostile en le dissuadant de poursuivre son action par la menace d’un éventuel procès. Cela n’empêchait pas les #HanounaDémission ou #BoycottTPMP d’être en tendance lundi soir. La sanction du public est bien celle à laquelle Cyril Hanouna est le plus vulnérable.
Anne-Catherine Husson-Traoré, @AC_HT_, directrice générale de Novethic