Souvenez-vous de vos longs voyages en voiture où il fallait nettoyer régulièrement son pare-brise en raison des très nombreux insectes venus s’écraser dessus. Cette époque semble désormais révolue au Royaume-Uni. C’est du moins ce que montre la récente étude “Bugs matter”, une vaste enquête participative organisée par Kent Wildlife Trust et Buglife, deux organisations de conservation de la nature, auprès de milliers de Britanniques.
Les résultats, rendus publics le 30 avril, sont sans appel : la population d’insectes volants y a chuté de 63% en seulement trois ans. Pour arriver à ce constat, des milliers d’automobilistes ont été invités à télécharger sur une application dédiée des photographies de leur plaque d’immatriculation, avant et après leur voyage, pour recenser le nombre d’impacts d’insectes. À cela, d’autres données sont collectées comme le modèle de véhicule et son aérodynamisme, la vitesse de déplacement, la météo, le type de paysage traversé, et bien sûr la date et le temps de trajet.
“Des conséquences catastrophiques”
“Ce déclin énorme du nombre d’impacts d’insectes sur une si brève durée est vraiment alarmant”, déplore Lawrence Ball de Kent Wildlife Trust, dans le Guardian. Pour l’auteur principal de cette étude, “il est plus que probable que nous voyions les effets combinés d’une tendance de fond au déclin et d’un cycle court terme, peut-être lié aux événements climatiques extrêmes de ces dernières années au Royaume-Uni”. D’après les relevés, les impacts ont globalement chuté de 8% entre 2023 et 2024, après avoir baissé plus fortement les deux années précédentes, respectivement de 44% et de 28%.
Dans le détail, ces données montrent une diminution des impacts d’insectes dans tous les pays du Royaume-Uni, la plus forte baisse entre 2021 et 2024 ayant été enregistrée en Écosse, avec une réduction de 65%. En Angleterre, le nombre d’impacts a diminué de 62%, au Pays de Galles de 64% et en Irlande du Nord de 55%. Pour Andrew Whitehouse de l’association Buglife, “les dernières données de Bugs Matter suggèrent que l’abondance des insectes volants dans nos campagnes a de nouveau diminué. Les conséquences sont potentiellement considérables, affectant non seulement la santé du monde naturel, mais aussi de nombreux services essentiels que la nature nous fournit.” Car les insectes jouent un rôle essentiel dans les écosystèmes, pour l’équilibre de la chaîne alimentaire et pour assurer la pollinisation.
La biodiversité mise à rude épreuve
Les causes de cet effondrement sont pourtant bien connues. Il y a l’usage des pesticides, le changement climatique mais aussi la destruction des habitats naturels. Dans un entretien au Monde, Philippe Grandcolas, directeur adjoint scientifique de l’institut CNRS Ecologie et environnement, explique que “l’expérience avec ces plaques d’immatriculation est très ingénieuse, c’est un bon échantillonnage écologique. Le résultat est effarant en termes d’intensité, mais en termes de tendance, il n’est malheureusement pas étonnant. On est dans une situation d’effondrement rapide et brutal”. “En France, on perd encore 20 000 kilomètres linéaires de haies par an et on dégrade encore nos zones humides. Les libellules, par exemple, déclinent également”, précise ce scientifique.
Toutefois, rien n’est perdu. Selon Philippe Grandcolas, la situation est “en partie réversible, si l’on cesse les pressions (pertes d’habitats, pesticides, etc.), mais à échéance de quelques décennies.” D’ailleurs, le 6 juin prochain en France, la Cour administrative d’appel de Paris examinera l’affaire Justice pour le Vivant. Il s’agit de la première action mondiale en justice visant à faire reconnaître la responsabilité d’un État pour son inaction face à l’effondrement de la biodiversité, notamment causé par les pesticides. Après une première victoire en 2023 condamnant l’État français, les ONG requérantes espèrent une décision forte obligeant enfin l’État à réformer ses procédures d’autorisation des pesticides, au regard des enjeux écologiques et du droit européen.