Publié le 23 janvier 2025

La CSRD va-t-elle disparaître avec la loi omnibus ? Le débat fait rage en coulisses en Europe. Alors que certains Etats membres, Allemagne en tête, tentent de vider le texte de sa substance, d’autres voudraient des simplifications “chirurgicales”.

“Simplifier”, c’est le mot d’ordre donné par la présidence polonaise de l’Union européenne pour les prochains mois. Après des élections européennes qui ont vu les forces de droite arriver en tête au Parlement, la compétitivité des entreprises est désormais la priorité des instances européennes. En ligne de mire : les règlementations européennes sur la transformation durable, jugées par certains trop lourdes pour les entreprises. En particulier, la CSRD, directive sur le reporting de durabilité, qui oblige les entreprises à divulguer leurs impacts sociaux et environnementaux, a fait l’objet de nombreuses critiques de certains milieux économiques et politiques. 

A quelques semaines de la présentation à Bruxelles de la fameuse “législation omnibus” qui doit permettre de rouvrir les négociations sur cette réglementation et sur certaines normes du Green Deal, la bataille fait rage entre les partisans d’un maintien des ambitions de la CSRD et ceux qui réclament une simplification massive. “Le débat est aujourd’hui très fort sur le sujet de la simplification de la CSRD, beaucoup d’options sont sur la table”, confie à Novethic Pascal Canfin, député européen du groupe Renew, et ex-président de la commission Environnement, très impliqué dans les règlementations du Green Deal.

CS3D : Eric Lombard défend une “suspension” du devoir de vigilance européen

Pro et anti-CSRD à la manœuvre

Il y a quelques jours, 160 syndicats et organisations de la société civile ont ainsi lancé un appel à sauver la directive CSRD. Côté entreprises, le syndicat patronal et le Mouvement Impact France, avec une douzaine de réseaux d’entreprises européennes, ont également pris position pour défendre la CSRD, considérant qu’elle permet, grâce au reporting, de construire la résilience des acteurs économiques face à la crise climatique et sociale. “Cette directive est un levier clé de compétitivité et de protection pour l’économie européenne, et de résilience pour nos entreprises. Il est essentiel que chaque entreprise, quelle que soit sa taille, puisse pleinement s’en emparer” écrivent ainsi les acteurs économiques mobilisés.

Mais en face, le lobbying pour détricoter la CSRD se fait de plus en plus fort. Depuis plusieurs mois, certains lobbies économiques européens, dont le Medef et l’Afep, poussent pour un report du texte, et un détricotage des obligations. Une position soutenue par la droite, et notamment le PPE, Parti populaire européen, qui a publié le 18 janvier dernier un document de synthèse réclamant non seulement un “report d’au moins deux ans” de l’application du texte, mais également une division par deux des données à publier. Dans la foulée, c’est Stéphane Séjourné, vice-président exécutif de la Commission européenne, chargé notamment de la simplification, qui annonçait sur France Inter une potentielle “suppression du reporting”. Un rétropédalage plus tard, et le commissaire parle désormais de supprimer plutôt “certains reportings”, tout en avançant une possible division “par dix” des obligations.

Pour Sophie Primas, porte-parole du gouvernement français, citée par l’AFP, la CSRD représente dans sa forme actuelle “des coûts considérables” et “un enfer” pour les entreprises. “Je crois que l’Union européenne dans son ensemble s’est aperçue que c’était allé un peu trop loin”, a poursuivi la porte-parole du gouvernement à la sortie du conseil des ministres. Selon l’agence de presse Bloomberg, le gouvernement français prépare d’ailleurs une série de recommandations destinées “à freiner le CSRD” et pourrait les présenter “dès cette semaine”. 

Vers un détricotage en profondeur ?

En coulisses, la pression sur les instances européennes par certains Etats membres est en tout cas à son plus haut niveau. En Allemagne notamment, le sujet suscite une véritable crispation dans le monde économique, qui refuse de se plier aux exigences de transparence du Green Deal, au point que le pays n’a toujours pas transposé la CSRD dans son droit interne, ce qu’elle devait faire avant la fin 2024. Les conservateurs et l’extrême droite, qui pourraient remporter les élections allemandes le 23 février prochain, n’ont jamais caché leur opposition au texte, et désormais, même le parti-social démocrate, de centre gauche, adopte des positions anti-CSRD. Début janvier, c’est même le chancelier Olaf Scholz qui proposait de réduire les obligations de reporting “à la tronçonneuse”. Très officiellement, le ministère des finances allemand a ainsi demandé un report de deux ans, une réduction drastique des obligations de reporting, la suppression des obligations sectorielles, la suppression du reporting dans d’autres réglementations comme la taxonomie…

Mais selon plusieurs sources à Bruxelles, les très influents représentants allemands pourraient aller plus loin. “Il y a une très grosse offensive allemande contre la CSRD, et si elle était suivie d’effets, cela aurait pour conséquence de quasiment vider le texte de son contenu”, analyse Pascal Canfin. Certains experts évoquent la possibilité d’une “remise en cause de la double matérialité et d’un possible “alignement sur les normes ISSB”, moins ambitieuses. D’autres craignent que les données issues des normes sociales de la CSRD, notamment celles sur les travailleurs des chaînes d’approvisionnement, passent à la trappe, jugées complexes à produire pour des entreprises multinationales qui connaissent mal leurs chaînes de valeur. Une perte qui équivaudrait à un retour en arrière massif pour la préservation des droits humains et des conditions de travail.

Vers une “flotte omnibus”

Qu’en sera-t-il vraiment ? Pour Pascal Canfin, “rien n’est clair à ce stade”. Il décrit la “bataille d’influence” qui se joue dans les instances européennes : “on oscille, y compris au sein de la Commission, entre des positions qui demandent des simplifications chirurgicales, et d’autres qui demandent une remise en cause majeure de la CSRD”, poursuit le député, dont le groupe défend un maintien des ambitions de la CSRD. Entre une droite et une extrême droite radicalement opposées au texte, et des libéraux et surtout une gauche qui la soutiennent, impossible de dire qui remportera les débats, mais le député européen concède que “l’on peut encore se retrouver avec le scénario du pire”.

Lors de la présentation de sa feuille de route économique en conférence de presse mardi 21 janvier, Andrzej Domański, ministre des Finances polonais, qui pilote le Conseil européen de l’Economie et des Finances au nom de la présidence polonaise de l’UE, a en tout cas confirmé que les règlementations seraient “massivement simplifiées” et que la transformation durable des entreprises passerait désormais “avant tout par des mesures incitatives et des soutiens plutôt que des interdictions et des obligations”.

“Si l’ omnibus actuelle n’est pas suffisante, nous irons plus loin et envisagerons une “flotte omnibus” pour rouvrir d’autres législations” a-t-il déclaré. En ligne de mire ? Probablement les autres règlementations de durabilité du Green Deal, en particulier le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, ou les critères de durabilité pour le secteur de l’énergie. Les discussions devraient donc être âpres dans les prochaines semaines, alors que deux visions de l’économie s’affrontent en Europe. Au centre de ce combat : l’avenir du Green Deal européen.

Découvrir gratuitement l'univers Novethic
  • 2 newsletters hebdomadaires
  • Alertes quotidiennes
  • Etudes