Les annonces se succèdent et se ressemblent ces derniers jours à propos du Green Deal européen et de la règlementation des entreprises vers plus de durabilité. Après une remise en cause massive de la CSRD, directive sur le reporting de durabilité, avec l’évocation d’une possible “suppression du reporting”, c’est maintenant la directive sur le devoir de vigilance (ou CS3D) qui est attaquée
Lors de ses vœux le 23 janvier, le ministre de l’Economie, Eric Lombard, a ainsi appelé à une “suspension de la CS3D tant qu’elle ne sera pas simplifiée”. Selon le ministre, le sujet a été discuté en conseil européen économique et financier les 21 et 22 janvier, et aurait fait l’objet d’un consensus “unanime” de la part des ministres. La directive sur le devoir de vigilance européen, votée en avril dernier, devait être l’aboutissement du Green Deal européen en obligeant les grandes entreprises opérant en Europe à garantir le respect des droits sociaux et environnementaux tout au long de leur chaîne de valeur.
Une directive critiquée par les milieux patronaux
Mais depuis plusieurs mois, les lobbies économiques et patronaux étaient à l’offensive contre la directive, jugée, comme la CSRD, comme un fardeau réglementaire. La directive leur impose en effet un travail d’identification des possibles atteintes aux droits humains ou de violation des droits environnementaux sur leurs chaînes de production, un travail difficile pour des entreprises qui maîtrisent souvent mal leurs chaînes de fournisseurs.
En novembre dernier, le Medef européen avait ainsi publié une lettre ouverte, mettant en avant les difficultés de la mise en œuvre du devoir de vigilance. Il appelait à “prévoir une période de transition prolongée pour les entreprises”, soit un moratoire sur l’entrée en vigueur du texte, au nom de la compétitivité des entreprises. Comme pour la CSRD, plusieurs acteurs européens issus du monde économique ou de la droite font ainsi pression depuis plusieurs mois pour décaler et détricoter la directive.
Face à la pression, Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, a donc décidé en novembre dernier d’intégrer la CS3D dans le cadre de la future législation omnibus visant à “simplifier” les réglementations du Green Deal. La position des ministres de l’économie européens, dévoilée par Eric Lombard lors de ses vœux, a d’ailleurs suscité les applaudissements des milieux économiques présents dans la salles. Des annonces qui semblent indiquer que le lobbying a porté ses fruits et que la remise en cause de la directive est en marche.
Vers un grand retour en arrière
D’ores et déjà, la déclaration du ministre a suscité la colère d’une partie des élus à Bruxelles. Marie Toussaint, eurodéputée écologiste a ainsi confié à Novethic ses craintes de voir le détricotage du Green Deal en cours en Europe affaiblir le continent. Elle fustige également la posture du gouvernement français qui “succombe aux appels des plus féroces réactionnaires, d’Elon Musk à BusinessEurope” en matière de dérégulation. De leur côté, les associations de protection des droits sociaux et environnementaux s’inquiètent que cette directive clé soit remise en cause, et avec elle toutes les garanties qu’elle introduit en matière de lutte contre l’esclavage moderne, la déforestation illégale, ou encore les pollutions illégales.
“Il est triste et dangereux de voir que les lobbys économiques ont réussi à mettre en doute cette législation nécessaire, alors que de nombreux acteurs économiques engagés appellent pourtant à la préserver”, commente Clara Alibert chargée de plaidoyer acteurs économiques chez CCFD-Terres solidaires. Il y a quelques jours, plusieurs grandes multinationales dont Ferrero, Unilever, Nestlé ou encore L’Occitane, avaient ainsi exprimé leur soutien au devoir de vigilance européen : “La mesure la plus concrète que la Commission européenne puisse prendre pour soutenir la compétitivité future est de se concentrer sur l’élaboration de lignes directrices claires et pratiques nécessaires pour aider les entreprises à mettre en œuvre le devoir de vigilance.”
Si Eric Lombard a tenu à préciser qu’une telle suspension ne signifierait pas un retour en arrière sur les ambitions du texte, les experts du secteur sont toutefois sceptiques. “Si on suspend la CS3D, on doit ouvrir légalement l’ensemble du texte pour renégocier la date d’entrée en vigueur, et à ce moment là tout est possible”, analyse Richard Gardiner, expert à la World Benchmarking Alliance. On peut ainsi craindre que les partis de droite au Parlement européen, opposés à la régulation des entreprises, reviennent également sur le fond de la directive. “S’il y a des changements concrets, ils devraient être mis sur la table publiquement. Sinon, cela ne peut être interprété que comme un écran de fumée pour la déréglementation” conclut l’expert.