Publié le 9 septembre 2024

Verra, l’un des principaux organismes certificateurs de crédits carbone, vient de rejeter une quarantaine de projets de riziculture en Chine, en raison de leur manque de fiabilité. Une première ! Le marché, qui souffrait déjà d’une très mauvaise réputation, semble à bout de souffle.

Déraillement en vue pour le marché volontaire des crédits carbone. L’un des principaux organismes certificateurs, l’Américain Verra, vient de supprimer 37 projets de crédits carbone de son registre. Les crédits carbone, générés par des projets tels que la plantation d’arbres, les énergies renouvelables ou encore des rizicultures raisonnées, censés réduire les émissions de gaz à effet de serre, sont utilisés par les entreprises afin de réduire leur bilan carbone. Mais depuis plusieurs années, de nombreuses enquêtes et études scientifiques ont révélé leur manque de fiabilité et notamment le manque de contrôle de la qualité et de l’impact réel des projets par les organismes certificateurs comme Verra.

Cette fois, les projets concernent des rizicultures en Chine censées réduire leurs émissions de méthane grâce à une meilleure gestion de l’eau. Traditionnellement, les rizières, inondées, émettent beaucoup de méthane en raison de la décomposition des plantes. L’objectif était que les agriculteurs drainent leurs champs afin de réduire ces émissions. Mais une enquête menée par Verra a révélé de “graves problèmes” de qualité. Ils concernent la réduction réelle des émissions de gaz à effet de serre par rapport à ce qui était attendu. Des doutes existent également sur l’additionnalité des projets, c’est-à-dire que ceux-ci n’auraient pas vu voir le jour sans la vente de crédits carbone. Or, les projets de riziculture auraient vraisemblablement existé sans le marché carbone puisque le gouvernement chinois incite déjà les agriculteurs à se tourner vers ces pratiques.

“Comment en est-on arrivé là?”

“Pour la première fois, des sanctions importantes contre les promoteurs de projets et les organismes de validation/vérification ont été prononcées”, indique Verra dans un communiqué. L’organisme, régulièrement pointé du doigt pour le manque de fiabilité des projets qu’il certifie, se targue ainsi de prendre des “mesures sans précédent“, notamment l’obligation pour les promoteurs de projets de compenser les crédits carbone émis en trop, et assure qu’il s’agit là d‘”une autre étape dans les efforts de Verra pour apporter plus de transparence et d’intégrité aux projets carbone”.

“La question qu’on peut se poser, c’est comment en est-on arrivé là ? Car on ne parle pas d’un ou deux projets, mais d’un grand nombre de projets pris entre les mailles du filet. Cela questionne le système de gouvernance des organismes comme Verra et leur trop grande confiance dans les auditeurs externes”, commente pour Novethic Gilles Dufrasne, de l’ONG Carbon Market Watch. “Ils doivent améliorer le suivi du travail des auditeurs et retravailler sur leurs méthodologies qui contiennent de nombreuses failles”, ajoute-t-il.

Shell fait partie des entreprises qui ont le plus recours aux crédits carbone. Le géant pétrolier est ainsi impliqué dans plusieurs des projets de riziculture révoqués par Verra, selon le site Climate Home News qui avait déjà pointé du doigt leur manque de fiabilité dès le mois de février. Verra avait alors annoncé qu’elle les suspendait le temps de mener son enquête. Et pourtant, toujours selon Climate Home News, Shell a tout de même utilisé les crédits carbone de la riziculture pour compenser une partie de ses émissions annuelles. Contactée, l’entreprise n’a pas donné suite à nos demandes.

Vers une chute du marché carbone ?

Shell multiplie les controverses. Après avoir été accusé de vendre des crédits fantômes à partir d’un projet de captage et stockage de CO2, il est aussi pointé du doigt pour avoir acheté des crédits carbone issus de projets de reforestation en Californie. Or, avec les récents incendies dans la région, ceux-ci sont littéralement partis en fumée. Certaines entreprises commencent toutefois à se détourner de la compensation carbone, à l’instar d’H&M. Le géant de la mode s’est ouvertement exprimé contre l’introduction de la compensation carbone dans la méthodologie SBTi, cadre mondial de référence pour la décarbonation du secteur privé.

En avril, le conseil d’administration de SBTi avait en effet décidé d’autoriser les compensations carbone dans l’atteinte des objectifs de réduction du Scope3, les émissions indirectes liées à l’utilisation du produit de l’entreprise, souvent les plus importantes, provoquant une levée de boucliers, notamment de la part d’H&M. Après des mois de controverses, les experts de la SBTi ont toutefois reconnu, dans un document technique publié le 30 juillet, l’inefficacité de l’utilisation de la compensation carbone dans l’atteinte des objectifs climatiques des entreprises.

Peut-on dès lors craindre une chute du marché volontaire des crédits carbone ? “On ne peut pas parler d’une chute car il n’y jamais vraiment eu de croissance très forte du marché. On peut plutôt parler d’une bulle qui se dégonfle, analyse Gilles Dufrasne. On assiste à une prise de conscience de la part des entreprises qui se sont pris un retour de flammes. Aujourd’hui, elles ne communiquent plus autour de la neutralité carbone, ce qui est une bonne chose”. Le marché volontaire des crédits carbone a du plomb dans l’aile. La demande a chuté de 56% en 2023. Une profonde réforme du secteur semble donc inéluctable s’il ne veut pas disparaître.

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