Le salon de l’automobile de Munich se termine sur un drôle de paradoxe. Toute la semaine, les constructeurs allemands ont multiplié les annonces en présentant leurs nouveaux modèles de voitures électriques, capables de rivaliser avec la concurrence chinoise, assurent-ils. Sur le salon, Thomas Schäfer, directeur de la marque Volkswagen insiste : “Nous sommes dominants en Europe et nous le défendrons par tous les moyens“, rapporte le Financial Times. Le constructeur numéro un en Europe a ainsi profité du salon pour présenter plusieurs nouveaux modèles électriques à coût réduit. BMW et Mercedes présentaient eux-aussi de nouveaux modèles, plutôt sur les segments supérieurs.
En parallèle de ces déclarations fracassantes, pourtant, se tient le même jour à Bruxelles une réunion fatidique pour l’avenir de l’industrie automobile européenne. Constructeurs et équipementiers vont rencontrer Ursula von der Leyen dans le cadre des dialogues stratégiques entre la Commission et les industriels. Et ils comptent bien ne pas repartir les mains vides. Ils veulent en effet pousser Bruxelles à revenir sur l’échéance de 2035, date à partir de laquelle l’Union européenne veut interdire la vente de voitures à moteur thermique.
Un fort lobbying des industriels
L’Association européenne des constructeurs automobiles (ACEA) avait déjà obtenu en début d’année un glissement sur deux ans de l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre de leurs gammes, de 2025 à 2027. Ils s’attaquent cette fois à une mesure critique du Green deal européen en exerçant un fort lobbying auprès des autorités européennes.
A la toute fin du mois d’août, dans une lettre adressée à Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, le président de l’ACEA Ola Källenius, également dirigeant de Mercedes-Benz, et son homologue de l’association des équipementiers automobiles, Matthias Zink, dirigeant de Schaeffler, ont clairement fait savoir qu’ils ne pourraient pas atteindre l’objectif de 2035. “Le plan de transformation de l’Europe pour l’industrie auto doit aller au-delà de l’idéalisme pour reconnaître les réalités industrielles et géopolitiques actuelles, écrivent-ils. Atteindre les cibles de CO2 rigides pour les voitures et les camions pour 2030 et 2035 n’est, dans le monde d’aujourd’hui, tout simplement plus faisable.”
Les constructeurs européens pointent du doigt la concurrence asiatique pour la production de batteries, que l’Europe ne parvient toujours pas à rattraper. Ils critiquent une réglementation européenne qu’ils jugent défavorable à leur développement. A cela, ils ajoutent les tarifs douaniers américains qui plombent les exportations de voitures européennes aux Etats-Unis, pour parachever un tableau très noir de leur situation. En clair, à en croire les constructeurs, la part de marché des voitures électriques reste trop faible, les réseaux de recharge sont insuffisants et les automobilistes ne sont pas encore prêt à passer à l’électrique.
Des études récentes viennent pourtant prendre le contrepied des arguments des constructeurs et montrent au contraire des vents porteurs pour l’électrification du secteur. L’ONG Transport et Environnement (T&E) a analysé les trajectoires de baisse des émissions des constructeurs européens et constaté que tous, hormis Mercedes, étaient en ligne avec les objectifs européens de 2027. La raison tient au redémarrage des ventes de voitures électriques, qui ont augmenté de 38% sur les sept premiers mois de l’année 2025.
Le coût des batteries en baisse
La sortie de nombreux modèles de voitures électriques à prix abordables, comme la Renault 5 ou la Citroën ë-C3 électrique, ont permis aux véhicules à batteries de regagner du terrain. Le coût des batteries, principal facteur d’inflation du prix des voitures électriques, est de son côté de mieux en mieux maîtrisé. Il devrait baisser de 27% entre 2022 et la fin 2025, puis de 28% supplémentaires en 2027, estime l’ONG.
Le délai de deux ans accordé par la Commission sur la réduction des émissions de CO2 devrait cependant avoir un impact négatif sur les ventes, selon T&E qui calcule que cela réduira de 2 millions de véhicules le volume des ventes d’électriques d’ici 2027. Un nouveau recul sur l’objectif de 2035 s’avèrerait donc risqué pour l’ONG. “Tout affaiblissement des objectifs nous ferait prendre du retard dans cette compétition planétaire et récompenserait les retardataires comme Mercedes”, déclare ainsi dans l’étude Diane Strauss, directrice de T&E France.
Les opérateurs de bornes de recharge montent aussi au créneau pour défendre le passage au véhicule électrique. L’organisation Charge France, qui réunit 18 entreprises (Electra, Engie Vianeo, Ionity, Powerdot, etc.), s’attache ainsi à démontrer que l’avantage économique pour les automobilistes de passer au véhicule électrique. Selon une étude réalisée avec le Boston consulting group, les ménages peuvent réaliser jusqu’à 1600 euros d’économie par an. Pour le BCG, il est déjà moins cher en termes de coût de détention et de frais d’usage, de conduire à l’électrique pour 75% des voitures actuelles et cette proportion devrait passer à 91% d’ici 2028. Charge France, parmi ses recommandations aux décideurs français et européens, demande de “garantir que seuls les véhicules 100% électriques pourront être vendus après 2035“.