Comment relier des événements météorologiques extrêmes comme les vagues de chaleur aux émissions carbone des plus grandes entreprises d’énergies fossiles (producteurs d’hydrocarbures et cimentiers) ? C’est justement ce que cherche à faire la science de l’attribution. Mais alors qu’elle se focalisait jusqu’ici sur des événements isolés, elle franchit une nouvelle étape avec une étude inédite publiée mercredi 10 septembre dans la revue Nature.
Ces recherches révèlent que 213 vagues de chaleur majeures, produites entre 2000 et 2023 dans 63 pays, ont été rendues plus probables et plus intenses en raison des émissions de 180 entreprises fossiles identifiées, appelées carbon majors. La majorité de ces vagues de chaleur n’auraient tout simplement pas eu lieu sans l’activité de ces entreprises.
“Les compagnies fossiles et cimentières ne sont pas de simples contributeurs abstraits au changement climatique : leurs émissions ont directement alimenté des vagues de chaleur les rendant responsables de souffrances humaines, de pertes pour les écosystèmes et de dommages économiques dans le monde entier”, a commenté le Dr Davide Faranda, directeur de recherche CNRS, responsable de ClimaMeter.
200 fois plus probables
Comment ce lien a-t-il été établi ? Les chercheurs ont d’abord identifié les vagues de chaleur et mesuré en quoi le changement climatique d’origine humaine les avaient rendues plus probables et plus intenses. Celui-ci a ainsi augmenté l’intensité des vagues de chaleur de 1,4°C sur 2000–2009, de 1,7°C sur 2010–2019 et de 2,2°C sur 2020–2023. Concernant la probabilité de leur survenue, elle a été multipliée par 20 entre 2000 et 2009 et par 200 entre 2010 et 2019 toujours en raison du changement climatique.
Les chercheurs ont ensuite analysé les émissions de CO2 et de méthane des plus grandes entreprises, à partir de leurs rapports d’activité. Il apparaît que les émissions de 180 grandes entreprises des énergies fossiles représentent 57% du total des émissions anthropiques cumulées de CO2 de 1850 à 2023. Selon l’étude, chacune de ces carbon majors peut être à l’origine de 16 à 53 vagues de chaleur, “ce qui aurait été pratiquement impossible sous un climat préindustriel”, rappellent les auteurs. “Même les plus petits acteurs ont contribué de manière substantielle à leur apparition”, ajoutent-ils.
Plus précisément, les 14 plus grandes entreprises fossiles (l’ex-Union soviétique, la République populaire de Chine pour le charbon, Saudi Aramco, Gazprom, ExxonMobil, Chevron, la National Iranian Oil Company, BP, Shell, l’Inde pour le charbon, Pemex, CHN Energy, la République populaire de Chine pour le ciment) représentent 30% du total cumulé des émissions anthropiques de CO2, soit à peu près autant que les 166 autres grandes compagnies entreprises fossiles réunies (27%). Du côté de la seule Française, TotalEnergies se classe au 20e rang, contribuant à 0,9% des émissions mondiales entre 1854 et 2023, selon le site carbonmajors.org.
Contentieux climatiques
Cette étude pourrait dès lors avoir des implications majeures dans les contentieux climatiques en venant apporter la preuve de la responsabilité des entreprises fossiles dans la survenue d’événements extrêmes. Ces travaux “constituent une base pour une prise de décision judiciaire éclairée. Plus la preuve scientifique des impacts des émissions d’entreprises est claire, plus leur exposition aux risques juridiques augmente”, analyse le Dr Rupert Stuart-Smith, directeur adjoint du Oxford Sustainable Law Programme, au sein de l’Université d’Oxford.
D’autant que “beaucoup de ces carbon majors savaient dès les années 1970 que la combustion d’énergies fossiles réchauffait la planète. Au lieu de transformer leurs modèles vers les renouvelables, elles ont trompé le public sur les dangers de leurs produits et fait pression sur les gouvernements pour maintenir la dépendance mondiale aux fossiles. Résultat : la planète s’est déjà réchauffée de 1,3°C”, ajoute le Dr Friederike Otto, professeure en sciences du climat à l’Imperial College London.
Dans une décision historique, rendue en juillet, la Cour internationale de justice, plus haute juridiction de l’ONU, a jugé que les actions gouvernementales alimentant le changement climatique étaient illégales au regard du droit international. En conséquence, les États – et par extension les entreprises – pourraient être tenus responsables des impacts climatiques. L’affaire Luciano Lliuya, un paysan péruvien, contre RWE a également établi un précédent fort : les carbon majors peuvent être tenues responsables des impacts climatiques. De quoi ouvrir la voie à une demande de réparation de la part des entreprises fossiles.
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