Le marché volontaire des crédits carbone n’est pas en forme. Alors que ces derniers sont utilisés par les entreprises qui visent la neutralité carbone, leur demande a chuté de 56% entre 2022 et 2023, soit près de 723 millions de dollars, selon l’ONG Ecosystem Marketplace publié le 30 mai dernier. Au point qu’un grand nombre de chercheurs appellent aujourd’hui à une réforme du marché vers un système plus transparent et plus exigeant. Sous peine de le voir disparaître, comme l’explique la Climate Crisis Advisory Groupe (CCAG), dans une étude publiée le 26 juin dernier.
Avant tout un outil pour réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES), il permet aux entreprises – voire aux particuliers – de compenser leurs émissions. Pour cela, les entreprises financent des projets de reboisement par exemple, dans des pays en développement. Elles achètent donc des crédits carbone qui leur permettent de dire qu’elles sont en voie d’atteindre leur objectif de neutralité carbone.
Vers un meilleur encadrement du marché ?
Or selon le dernier rapport du CCAG, le marché carbone qui génère aujourd’hui 2 milliards de dollars par an, pourrait en générer bien davantage pour l’action climatique. Selon leurs estimations, ce montant pourrait être multiplié par dix au cours de la prochaine décennie. Mais à une seule condition, qu’il se réforme. De nombreuses pistes ont été avancées mais un seul et même prérequis est ressorti des dernières études publiées sur le sujet : la transparence. “L’absence de transparence sur les transactions est un obstacle à la crédibilité du marché, car lorsque l’on souhaite évaluer son efficience, on constate bien souvent que les données concernant le prix, l’identité du vendeur ou de l’acheteur, ou encore la géolocalisation des projets, sont incomplètes ou complètement absentes”, explique Tara L’Horty, co-auteure d’une étude publiée dans Nature sustainability, auprès de Novethic.
Et tendre à plus de transparence, “c’est aussi éviter la fraude, protéger davantage les investisseurs mais aussi connaître les retombées réelles des projets sur les populations locales et ainsi corriger les asymétries de pouvoir”, précise cette doctorante en économie. Pour le groupe de chercheurs, d’autres solutions sont possibles comme le renforcement de la gouvernance existante avec l’établissement de régulations ou par l’utilisation de la technologie Blockchain pour conserver et sécuriser numériquement l’historique des transactions.
Des pistes déjà à l’étude chez certains organismes de certification. “Nous sommes entièrement d’accord sur le fait que les crédits carbone doivent être transparents, scientifiquement fondés et à la fois bien mesurés et surveillés”, a déclaré au Guardian, Judith Simon, présidente et directrice générale de Verra, leader sur le marché.
Des couacs à répétition
Si cet appel à la transparence est si important, c’est que le marché carbone jouit d’une très mauvais réputation. Comme le montre l’enquête conduite en 2023 par les journaux allemand Die Zeit et anglais The Guardian, avec le collectif d’investigation Source Material, une large majorité des crédits carbone certifiés par Verra – l’un des plus gros organismes de certification – sont des “crédits fantômes“. Donnant ainsi du crédit à ceux qui appellent à mettre un terme à ce marché puisqu’il permet aux plus gros pollueurs de continuer leur activité.
Plus récemment, c’est la Science Base Target Initiative (SBTi), qui a suscité la controverse. En avril 2024, cet organisme chargé d’évaluer les politiques climatiques des entreprises, s’est dit ouvert à l’utilisation de crédits carbone pour compenser les émissions indirectes et atteindre les objectifs climatiques. Cette annonce a provoqué l’indignation de nombreuses associations ou entreprises déjà engagées. Pour Cœur de forêt, “ce revirement de politique pourrait marquer un recul dramatique face à l’urgence climatique et compromettre la qualité des projets de préservation et de restauration des forêts dans le monde”.