Publié le 17 juillet 2025

La France a fait figure de pionnière en sortant du Traité sur la charte de l’énergie (TCE) en 2023, un accord qui permet de protéger l’intérêt des investisseurs dans le secteur énergétique. Mais au-delà du TCE, le pays est lié à des dizaines d’autres traités tout aussi néfastes mais dont il n’a pas l’intention de sortir à date.

C’est le TCE qui cache la forêt…  Le Traité sur la charte de l’énergie avait suscité de fortes polémiques, à l’occasion de sa modernisation, débutée en 2018. Les Français, et plus généralement, les Européens, découvraient alors qu’il existait un accord permettant aux investisseurs d’attaquer un Etat dès lors que celui-ci modifiait sa politique énergétique dans un sens contraire à leurs intérêts commerciaux, avec de grosses sommes d’argent en jeu. Le TCE était alors décrit comme une épée de Damoclès sur la transition énergétique européenne, conduisant de nombreux pays à en sortir, à commencer par la France, en 2023.

Mais derrière le TCE, ce sont en réalité des milliers d’autres accords d’investissements qui sont toujours en vigueur, avec des dispositions similaires et totalement incompatibles avec l’Accord de Paris et la sortie des énergies fossiles. Ainsi, selon une étude inédite publiée ce jeudi 17 juillet par l’institut Veblen, la France est encore partie à 90 accords de protection des investissements contenant un mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États. En clair, 90 accords qui peuvent faire l’objet d’un arbitrage et déboucher sur une sanction financière, freinant dès lors toute ambition. Ces accords sont “un obstacle majeur à l’atténuation et à l’adaptation au changement climatique ainsi qu’à l’adoption de politiques environnementales, sociales ou de santé publique ambitieuses”, pointent les auteurs.

 188 millions de tonnes de CO2 protégées chaque année

Après le Traité sur la Charte de l’énergie, ce sont les traités bilatéraux d’investissement (TBI) avec les Emirats arabes Unis, le Qatar, la Chine, le Nigéria, l’Irak, le Mozambique, le Kazakhstan, la Libye, l’Argentine, Namibie et la Russie qui sont les plus “protecteurs”. Dans ces pays, les investissements français dans les énergies fossiles, protégés par des traités d’investissement, génèrent plus de 5 millions de tonnes de CO2 équivalent annuels.

Selon une précédente étude du think tank E3G, publiée en juillet 2024, sur laquelle s’appuie ce nouveau rapport, au total pour les émissions fossiles françaises, ce sont 188 millions de tonnes de CO2 équivalents qui sont protégées chaque année par un accord de protection des investissements. Parmi elles, 35 millions de tonnes ne sont liées qu’au TCE dont la clause de survie est encore en cours – celle-ci prévoit que les dispositions resteront applicables même après dénonciation de l’accord. Le pays se place en 3e position, derrière le Royaume-Uni et le Japon. 

Mais la France est elle aussi de plus en plus souvent attaquée. En vertu du traité de protection des investissements signé avec la Russie, Paris est en effet sous le coup d’une procédure d’arbitrage dans le cadre du mégaprojet minier à ciel ouvert Montagne d’Or en Guyane, lancée par deux sociétés russes d’investissement propriétaires de l’entreprise Nordgold, actionnaire à hauteur de 55 % de la Compagnie de la Montagne d’or, dont l’une est détenue par un oligarque russe sous sanctions internationales. “Plus de 4,5 milliards de dollars de compensations seraient réclamés par les investisseurs pour ce premier véritable cas majeur d’arbitrage d’investissement contre la France”, précise l’institut Veblen dans une note consacrée au dossier. Le contentieux est lié au refus du gouvernement français en janvier 2019 de prolonger pour 25 ans la concession minière.

Des accords “archaïques”

Ces accords, hérités pour une grande partie de la décolonisation, ont été conçus pour défendre les intérêts des entreprises françaises dans les pays du Sud. Ils sont aujourd’hui totalement archaïques”, réagit auprès de Novethic Mathilde Dupré, co-directrice de l’Institut Veblen. “En épluchant tous ces traités, on a découvert des choses complètement improbables : par exemple, certains textes ne sont pas réciproques, ou disposent d’une clause de survie illimitée. Une grande partie de ces accords sont aussi rétroactifs et offrent une protection y compris aux investissements réalisés avant leur signature”, explique-t-elle.

Dès lors, elle appelle le gouvernement français à mettre fin de sa propre initiative aux 76 accords dont la durée initialement prévue est arrivée à échéance et à dénoncer au fur et à mesure que cela deviendra possible les autres accords restants. Elle demande aussi au Haut conseil pour le climat d’examiner la compatibilité de ces TBI avec les engagements climatiques de la France. “En l’absence d’action de la part de la France, la Commission européenne devrait demander aux États membres de l’UE, dont la France, de mettre fin aux anciens TBI”, insiste le rapport.

Au niveau de l’OCDE et de la France en particulier, il n’y a pas de volonté pour l’instant de sortir de ces traités, d’en exclure les énergies fossiles ou de protéger les politiques climatiques”, commente Mathilde Dupré qui entend faire monter la pression sur les gouvernements à l’instar de ce qu’il s’est passé avec le TCE, encore inconnu il y a une dizaine d’années. Selon l’analyse d’E3G, au niveau mondial, les traités d’investissement protègent chaque année environ 2 gigatonnes d’équivalent CO₂ d’émissions potentielles de gaz à effet de serre, rien que pour les activités fossiles.

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