Pour les salariés du BHV Marais, la pilule ne passe pas. Le 1er octobre dernier, les équipes du grand magasin parisien ont appris l’arrivée prochaine de Shein parmi les marques qu’elles distribuent. Dès le 1er novembre, la très controversée plateforme d’ultra fast-fashion devrait en effet ouvrir un espace de vente permanent, une première dans le monde, au sixième étage du BHV. Inquiets pour leur avenir, les employés se sont mis en grève vendredi 10 octobre afin de protester contre ce partenariat qu’ils jugent dangereux “pour l’identité du BHV Marais et son attractivité commerciale”.
Rassemblés au pied de l’établissement sous les regards étonnés des passants, une centaine de salariés, rejoints par des élus de la mairie de Paris, ne mâchent pas leurs mots. “Ça ne correspond pas à l’image du magasin. On a été très impliqués dans les politiques RSE donc il faut être cohérent avec ce qu’on fait au quotidien. Shein c’est tout le contraire”, regrette Sophie* qui comptabilise 26 ans d’ancienneté au sein du BHV. Mais l’arrivée du géant chinois au sein des rayons du grand magasin semble surtout être la goutte d’eau qui fait déborder le vase pour de nombreux salariés.
“Si on tient jusqu’à décembre je serais surprise”
Rachetée au groupe Galeries Lafayette par la Société des Grands Magasins (SGM) en 2023, l’enseigne fait aujourd’hui face à d’importantes difficultés. “Depuis la cession (…), la situation économique et sociale n’a cessé de se dégrader. Plus de 300 emplois directs ont été supprimés, les fournisseurs ne sont plus payés”, déplore l’intersyndicale (CFDT, CFTC, CFE-CGC, CGT et Sud Solidaires) dans un communiqué. Selon, Catherine*, une salariée gréviste, “On parle de centaines de milliers d’euros. A cause des impayés, les marques sont obligées de licencier leurs démonstrateurs, elles n’ont plus les moyens de rester au BHV”.
Des départs qui s’accélèrent depuis quelques jours. L’enseigne de cosmétiques Aime, le chausseur Odaje ou encore le fabricant de bougies Maison Pechavy… Toutes ces marques ont récemment annoncé mettre fin à leur collaboration avec le BHV, dénonçant les lourds impacts sociaux et environnementaux des activités de Shein. “En plus de trente ans de métier, je n’ai jamais vu ça, souffle Catherine. Si on tient jusqu’à décembre je serai surprise”.
Désengagement de la Banque des Territoires
Car les conséquences de l’accord entre la plateforme de mode éphémère et le grand magasin ne s’arrêtent pas là. Fin octobre, la SGM devait en effet devenir propriétaire des murs du BHV. Une opération clé menée avec la Banque des Territoires qui conditionnait “la poursuite de l’activité” selon la direction. Suite au partenariat noué avec Shein, l’entité de la Caisse des dépôts a néanmoins affirmé “mettre un terme aux négociations (…) visant à la création d’une foncière commune”. Invoquant une “rupture de confiance entre les deux parties”, elle estime que le modèle de Shein “ne correspond pas à [ses] valeurs et à [sa] doctrine d’action”.
De quoi amplifier encore un peu plus les craintes des équipes. “Aujourd’hui, les salariés du BHV refusent de subir les conséquences d’une gestion irresponsable qui met en péril les emplois, les métiers et l’économie locale”, établit l’intersyndicale. Les grévistes appellent ainsi à l’abandon de l’accord signé avec Shein, ainsi qu’à l’audit de la gestion de la SGM par les pouvoirs publics. Interrogée par Novethic, la SGM reste de son côté “convaincue que ce partenariat est bénéfique pour le groupe et ses salariés”. La foncière assure en outre “maintenir le dialogue avec les salariés et syndicats pour leur expliquer l’intérêt de ce projet”.
*Tous les prénoms ont été modifiés pour respecter l’anonymat des salariées.