La Chine, elle, était au rendez-vous. Mercredi 24 septembre, lors du sommet sur le climat organisé en marge de l’Assemblée générale des Nations unies, le président Xi Jinping a dévoilé le nouvel objectif climatique du pays (NDC) pour 2035, respectant le timing prévu par l’Onu. “La transition verte et bas-carbone est la tendance de notre temps”, a-t-il déclaré. Un contrepied à la phrase de Donald Trump prononcée la veille, dans laquelle il considérait le changement climatique comme “la plus grande escroquerie jamais perpétrée contre le monde”. Et une façon pour la Chine de prendre la place – inoccupée depuis plusieurs mois – de leader climatique face à un président américain ouvertement climatosceptique, qui a de nouveau sorti son pays de l’Accord de Paris, et une Europe plus que jamais divisée sur le climat, se contentant d’une simple “déclaration d’intention” sur l’objectif 2035, faute de consensus entre ses Etats-membres.
La Chine a donc non seulement tenu les délais mais elle a aussi pour la première fois adopté des objectifs concrets qui couvrent tous les gaz à effet de serre. Jusqu’ici engagée à atteindre son pic d’émissions d’ici 2030, ce qu’elle devrait faire dès cette année, elle vise désormais une réduction nette de ses émissions de gaz à effet de serre de 7 à 10% d’ici 2035. Des engagements certes jugés “modestes” par les spécialistes, mais conformes à la stratégie chinoise de sous-promettre pour mieux sur-délivrer. “Il y a les objectifs de l’ONU et la réalité : le pays a investi 625 milliards de dollars dans les énergies propres l’année dernière, soit 31% du total mondial. Son essor des énergies propres transforme l’économie mondiale et remplace le charbon sur son territoire”, commente Bernice Lee, directrice de recherche au Chatham House, un institut politique indépendant.
“Laboratoire scientifique de la transition énergétique”
En matière de transition verte, la Chine mène en effet la course en tête, comme le confirme un rapport publié début septembre par le think tank Ember. Le pays représente la moitié des installations mondiales de panneaux solaires, 60% des ventes de véhicules électriques et les deux tiers de la croissance mondiale de la demande d’électricité depuis 2019. En 2024, elle produisait quatre modules solaires et cellules de batterie sur cinq dans le monde, plus des deux tiers des véhicules électriques, plus de la moitié des pompes à chaleur mondiales et raffinait en moyenne sept minéraux essentiels à la transition sur dix.
“La Chine a ouvert la voie à un nouvel avenir énergétique en développant des technologies électriques à grande échelle, en réduisant considérablement les coûts et en élargissant le champ des possibles. Les conséquences dépassent largement ses frontières, permettant aux marchés émergents de faire un bond en avant énergétique et de faire basculer la demande mondiale en combustibles fossiles d’une croissance inexorable à un déclin structurel”, analyse Sam Butler-Sloss, responsable de recherche, au sein d’Ember.
Sous l’impulsion de la Chine, les marchés émergents déploient en effet eux aussi des solutions électrotechnologiques à grande échelle : la région Asie du Sud-Est et le Bangladesh viennent de dépasser les États-Unis en termes d’électrification. Plus généralement, dans la “nouvelle ceinture solaire industrielle”, du Vietnam au Mexique, de l’Afrique du Sud à l’Inde, du Brésil à la Namibie, la part de l’énergie solaire dans la production d’électricité a dépassé de 63% celle des Etats-Unis. “La Chine est la nation pivot du système mondial”, jugent les spécialistes d’Ember.
“Si le ‘fabriqué en Chine’ reflétait le rôle du pays dans les années 2010, le ‘inventé en Chine’ le reflète de plus en plus aujourd’hui. La Chine est devenue le laboratoire scientifique de la transition énergétique, ainsi que son usine, notent les auteurs du rapport. En Chine, on prend conscience que l’ancien modèle de développement axé sur les énergies fossiles a fait son temps et n’est plus adapté aux réalités du XXIe siècle.” L’objectif du gouvernement, inscrit dans la Constitution depuis 2018, est ainsi d’instaurer une “civilisation écologique”.
Vers un déclin mondial des fossiles
La transition chinoise change donc le paysage énergétique au niveau national mais aussi mondial. Au premier semestre 2025, la demande chinoise d’énergie fossile pour la production d’électricité a diminué de 2% et semble se rapprocher d’un plateau avec un déclin à venir, selon le think tank Ember. Un constat particulièrement significatif puisque la Chine a représenté les deux tiers de l’augmentation de la demande mondiale d’énergies fossiles au cours de la décennie 2012-2022. “La baisse de la demande chinoise, combinée à l’adoption accélérée des technologies propres dans le monde, semble créer les conditions d’une baisse de la demande mondiale d’énergies fossiles d’ici 2030″, prévoient les spécialistes d’Ember.
“Ce sont effectivement des signaux positifs, commente pour Novethic Cédric Philibert, expert de l’énergie. Mais globalement la dynamique vers une sortie des énergies fossiles – engagement pris à la COP28 – est encore insuffisante”. Selon le dernier Production gap report 2025, publié le 22 septembre, les gouvernements prévoient de produire 120% de combustibles fossiles en trop par rapport à une trajectoire compatible avec la limitation du réchauffement à 1,5ºC. La Chine ne fait pas exception. “La Chine est-elle le mauvais élève ou le héros du climat ? Nous en sommes précisément au point où cette question se pose véritablement, a déclaré Li Shuo, directeur du programme climat Chine à l’Asia Society Policy Institute, cité par le Washington Post.
Pour Emmanuel Hache, économiste et prospectiviste à l’IFPEN (IFP Énergies nouvelles), auteur de La Chine, nouveau laboratoire écologique mondial ?, il ne fait aucun doute que la Chine va faire la bascule vers un monde décarboné. “Il faut comprendre qu’en Chine les impacts du changement climatique sont une préoccupation centrale. Il y a des manifestations tous les jours pour protester. L’environnement est un facteur de déstabilisation très fort. Le régime a donc intérêt à agir pour répondre à cette demande en interne. La Chine est aussi l’un des rares pays à voir la décarbonation comme une source d’emplois “, analyse-t-il pour Novethic.
La COP30 de Belém en novembre va être le prochain crash-test. “Il y a fort à parier que la Chine va faire du forcing pour que le sommet soit une réussite afin de montrer qu’on peut y arriver même sans les Etats-Unis. L’occasion pour Pékin de se poser en leader climatique et en puissance stabilisatrice face à l’anarchie américaine et aux hésitations européennes”, conclut Emmanuel Hache.