Les décisions de la cour d’appel de Paris étaient très attendues. Ce mardi 18 juin, la nouvelle chambre spéciale sur les contentieux émergents, créée pour juger les affaires en lien avec le devoir de vigilance, devait en effet juger la recevabilité de trois affaires emblématiques, concernant TotalEnergies, EDF et Suez. Les trois groupes français étaient assignés par des collectifs d’associations et de collectivités locales (Notre Affaire à Tous, Sherpa, France Nature Environnement, la ville de Paris, de New-York ou encore de Grenoble…) pour manquement à leurs obligations en matière de devoir de vigilance. Celui-ci impose aux multinationales de prendre des mesures pour que soient respectés les droits humains et environnementaux sur leur chaîne de valeur.
Déboutés en première instance sur des questions de procédures, les collectifs requérants avaient fait appel. Et dans une décision historique, qui clarifie enfin la jurisprudence sur le devoir de vigilance des entreprises, la cour d’appel de Paris a cassé les décisions initiales du tribunal, et renvoyé Total et EDF devant les tribunaux. “C’est une grande victoire”, se félicite auprès de Novethic Maître François de Cambiaire, avocat des associations dans l’affaire baptisée “Total Climat”. Le pétrolier était assigné pour manquement à son devoir de vigilance climatique. “Le juge a déclaré nos demandes recevables, et il y aura donc enfin un jugement sur le fond, sur des mesures qui sont demandées depuis 4 ans dans ce contentieux”, ajoute-t-il.
VICTOIRE D’ÉTAPE 🥳 La cour d’appel de Paris a jugé l’action des associations recevable dans notre procès historique contre @TotalEnergies !
Cette décision ouvre la voie au 1er procès climatique contre une multinationale en France.
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— Notre Affaire à Tous (@NotreAffaire) June 18, 2024
Vers des jugements sur le fond
La cour d’appel a en effet considéré, contrairement au juge de première instance, que les associations étaient bel et bien légitimes à entamer des actions en justice sur le fondement du devoir de vigilance, et qu’elles avaient respecté les procédures dans l’esprit de la loi française sur le devoir de vigilance. Même chose dans le cas d’EDF, qui était assigné pour ne pas avoir correctement anticipé et prévenu le risque d’atteintes aux droits humains dans le cadre d’un projet éolien au Mexique.
“Les obstacles procéduraux risquaient de rendre la loi sur le devoir de vigilance ineffective, et le juge vient de lever ces obstacles, ce qui est une excellente nouvelle”, explique à Novethic Théa Bounfour, chargée de contentieux et plaidoyer chez Sherpa, association requérante dans l’affaire Total Climat. Les deux affaires devront ainsi repasser devant le tribunal judiciaire, qui devra se prononcer sur la conformité des plans de vigilance des entreprises et sur leur capacité à faire respecter les droits humains et environnementaux, mais également sur la question de la réparation du préjudice écologique. Avec cette décision, “le juge est remis au centre du contrôle du respect du devoir de vigilance, comme le prévoyait la loi”, analyse Théa Bounfour.
Et concrètement, cela ouvre la porte, dans l’affaire Total Climat, au premier procès climatique en France. Contactée par Novethic, l’entreprise a réagi, estimant qu’elle démontrerait “devant le tribunal que la Compagnie élabore, publie et met en œuvre chaque année un plan de vigilance conforme aux exigences de la loi sur le devoir de vigilance.”
Un accès restreint à la justice pour les collectivités
La décision de la cour d’appel vient également clarifier la jurisprudence sur les conditions procédurales de saisine du juge en matière de devoir de vigilance. Plusieurs villes françaises et internationales, notamment dans le cas de l’affaire Total, ont été déboutées dans leurs demandes. La cour reconnaît en effet que, conformément à la loi, “toute personne justifiant d’un intérêt à agir” peut saisir le juge à partir du moment où l’entreprise mise en cause a été préalablement mise en demeure. Mais elle restreint toutefois l’accès à la justice pour les collectivités, considérant que leur rôle ne peut se justifier que lorsqu’un intérêt public local est démontré sur les territoires qu’elles administrent. “L’intérêt à agir des collectivités n’a pas été pleinement reconnu” déplore Théa Bounfour.
L’action intentée contre Suez a quant à elle été jugée irrecevable, la filiale visée par l’action n’ayant pas été considérée comme responsable de la gestion du devoir de vigilance. La cour d’appel ne s’est toutefois pas prononcée sur le fond de l’affaire.