Publié le 29 janvier 2024

La cour d’appel de Paris vient de décider la création d’une chambre spécialisée sur les enjeux de devoir de vigilance et de responsabilité sociale et environnementale des entreprises. Une première, qui pourrait être le signe d’un changement de jurisprudence sur le sujet.

Le 15 janvier 2024, la cour d’appel de Paris a annoncé la mise en place, au sein de son pôle économique, d’une chambre dédiée aux contentieux émergents sur le devoir de vigilance et la responsabilité écologique. Cette décision pourrait être le signe d’une accélération de la judiciarisation des enjeux liés à la RSE (Responsabilité Sociale des Entreprises), et d’une prise en compte approfondie de ces questions par les juges.  La nouvelle chambre spéciale jugera ses premières affaires au premier semestre 2024.
Les nouvelles réglementations liées au devoir de vigilance ou au reporting social et environnemental se sont en effet multipliées ces dernières années, et avec elles, les contentieux visant des entreprises ont émergé : une quinzaine sont en cours en France, selon le Radar du Devoir de Vigilance. C’est le cas des procédures intentées contre TotalEnergies, accusé de ne pas avoir veillé au respect des droits humains dans le cadre de son projet de pipeline en Ouganda, ou encore celles visant La Poste, condamnée pour manquement à son devoir de vigilance en matière de conditions de travail des sous-traitants. Pour les juges, il a fallu s’adapter à ces nouveaux contentieux. “C’est tout un nouveau droit de la conformité et de la responsabilité des entreprises qui est en train de se constituer en Europe. Les juges n’ont pas l’habitude de se saisir de ça” explique Hugo Mickeler, expert ESG et régementations chez Novethic.

Un signe de l’importance du devoir de vigilance


La création d’une chambre dédiée à ces thématiques montre que cette adaptation est désormais en bonne voie, et elle vient renforcer un mouvement plus vaste de normalisation et de judiciarisation de la RSE entamé ces dernières années. “C’est plutôt une bonne nouvelle, qui montre que les juges ont ressenti le besoin de monter en compétence, de se spécialiser, et qu’ils ont conscience que les enjeux liés à la RSE nécessitent une technicité nouvelle” explique Charlotte Michon, avocate spécialisée en RSE et devoir de vigilance. 
Du côté des ONG, la nouvelle est bien accueillie : “Ces problématiques autour du devoir de vigilance ont souvent lieu à l’étranger, et mélangent de nombreux sujets juridiques complexes. Une chambre dédiée permettra de mieux avancer” explique Juliette Renaud, responsable de plaidoyer pour Les Amis de la Terre. Théa Bounfour, chargée de contentieux et plaidoyer sur les questions environnementales chez Sherpa, y voit aussi “un signal positif, qui montre l’importance de ces sujets pour la juridiction”.

Clarifier un cadre juridique encore flou


La cour siégera de façon collégiale, avec trois juges provenant de différentes chambres (sociales, économiques…), ce qui devrait permettre, selon Théa Bounfour de “développer enfin une vraie compétence transversale, indispensable pour traiter de ces affaires complexes, qui sont à la fois économiques, sociales, environnementales…” Le rôle de cette cour sera en outre de contribuer à clarifier ce cadre juridique nouveau encore flou. Jacques Boulard, premier président de la cour d’appel de Paris, dans son discours de rentrée du 15 janvier, précise d’ailleurs que la chambre contribuera à “la garantie d’une plus grande prévisibilité de la jurisprudence”. 
Du côté des Amis de la Terre, qui a porté plusieurs contentieux en lien avec ces problématiques, l’enjeu est de taille. “On espère notamment que cette nouvelle cour cassera les jugements de première instance sur la recevabilité des différentes affaires en cours en matière de devoir de vigilance, pour nous permettre enfin d’arriver sur les questions de fond” explique Juliette Renaud.
Dans plusieurs affaires liées au devoir de vigilance, les juges de première instance avaient en effet débouté les ONG requérantes pour des questions de procédure, empêchant le jugement sur le fond. Trois affaires sont notamment concernées et devraient être jugées en appel le 5 mars dans cette nouvelle cour : des affaires concernant l’inaction climatique du groupe TotalEnergies, les atteintes aux droits humains concernant les activités d’EDF, et le devoir de vigilance de Suez en matière sanitaire. “On sera très attentif à l’audience du 5 mars” conclut Théa Bounfour.

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