Carton rouge pour les entreprises internationales en matière d’efforts de lutte contre le changement climatique. Plusieurs études et baromètres récents montrent que les politiques mises en place par les acteurs privés en matière de transition vers une économie bas carbone sont encore largement insuffisantes. Selon les conclusions du dernier rapport “Transition Pathway Initiative” de la London School of Economics, environ 30% des grandes entreprises cotées les plus émettrices de CO2 se sont dotées de cibles de réduction d’émission à long terme compatibles avec les accords de Paris sur le climat. Un chiffre certes en hausse (il n’était que de 7% en 2020), mais qui masque la grande hétérogénéité des pratiques en matière de décarbonation, qui sont encore très en deçà des efforts nécessaires pour espérer limiter la crise climatique.
Selon les auteurs du rapport, sur les près de 1 000 grandes entreprises cotées étudiées, la quasi-totalité (99%) semblent reconnaître l’urgence que représente le changement climatique pour leurs organisations. Pour autant, elles sont peu nombreuses à mettre en place des mesures concrètes pour réduire leur impact carbone et adapter leurs stratégies économiques à l’urgence climatique. Ainsi, 46% seulement rendent des comptes sur les actions qu’elles mettent en place de manière opérationnelle pour limiter leurs émissions de CO2 et atteindre leurs objectifs climatiques. Moins d’une entreprise sur deux a intégré des critères de performance dans les rémunérations de ses dirigeants.
La crédibilité des stratégies de décarbonation en question
“De nombreuses entreprises des secteurs à fortes émissions ne parviennent pas à mettre en œuvre des processus et des objectifs de transition adéquats”, commente ainsi David Russell, président de la Transition Pathway Initiative, alors qu’il existe un doute sérieux sur la crédibilité des stratégies et des actions mises en place par les grandes entreprises. Pratiquement aucune ne met en place de planification stratégique cohérente pour faire la transition vers des modèles économiques bas carbone. 5% seulement mesurent l’impact de leurs stratégies de réduction d’émissions de CO2 et 2% ont mis en place une stratégie pour stopper ou limiter la part des activités très polluantes dans leurs modèles d’affaires.
Les mêmes tendances sont observées dans le rapport du Net Zero Tracker, publié le 23 septembre dernier : si 60% des 1 900 grandes entreprises internationales étudiées se sont dotées d’un objectif “net zéro”, la solidité de leurs politiques climatiques reste très discutable. Seules 5% des entreprises respectent les critères d’une stratégie climatique de qualité définis par l’ONU, notamment fixer des objectifs précis, incluant l’ensemble des gaz à effet de serre, ou prioriser les réductions directes des émissions plutôt que les dispositifs de compensation carbone, largement critiqués ces dernières années pour leur manque d’efficacité. “Des progrès ont été faits mais on a besoin de bien plus, nous devons être plus ambitieux”, confirme Catherine McKenna, présidente du groupe d’experts de l’ONU sur les engagements de neutralité carbone.
Des engagements climatiques en recul
Un autre rapport, du Boston Consulting Group (BCG) cette fois, montre de son côté que les efforts mis en place par les entreprises internationales en matière climatique sont même en train de ralentir. Sur 2 000 entreprises interrogées en 2024, moins de 10% avaient mis en place un reporting exhaustif de leurs émissions carbone sur les scopes 1, 2 et 3, c’est-à-dire sur l’ensemble de leur chaîne de valeur, incluant leurs fournisseurs, et moins de 16% avaient des objectifs précis associés à ces périmètres. Des chiffres inférieurs à ceux observés en 2023, signe peut-être que les enjeux de durabilité passent au second plan pour les dirigeants. Ces derniers mois, plusieurs grandes entreprises sont d’ailleurs revenues sur leurs objectifs climatiques et ont abaissé leurs ambitions : c’était le cas dernièrement du pétrolier Shell ou encore de la compagnie aérienne Air New Zealand.
Un recul d’autant plus paradoxal que, selon les données analysées par le BCG, les efforts de décarbonation des entreprises peuvent avoir des effets positifs sur leurs performances économiques. 25% des entreprises interrogées parmi les plus avancées en la matière déclarent ainsi que leurs stratégies climatiques leur ont permis de dégager des bénéfices, résultant notamment “de la réduction des coûts d’exploitation : réduction des déchets, rationalisation des matériaux ou des empreintes, utilisation d’énergies renouvelables…”. A quelques semaines d’une COP29 décisive, ces chiffres envoient en tout cas un très mauvais signal.