Publié le 26 juin 2023

ÉNERGIE

Shell revient sur ses objectifs climatiques pour privilégier sa rentabilité

Shell a opéré un revirement spectaculaire de sa stratégie climatique. Deux après avoir annoncé vouloir baisser sa production, la major décide finalement de la maintenir pour continuer d’assurer des rendements élevés pour ses actionnaires. Une décision qui a suscité la colère de l’Église d’Angleterre. Cet investisseur aux plus de 10 milliards de livres d’actifs a décidé d’exclure Shell et toutes les autres compagnies pétrolières mondiales de tous ses investissements.

Shell Olympus Tension Leg Platform Mike Duhon SHell
Shell a décidé de maintenir sa production pétrolière au même niveau jusqu'en 2030, contrairement aux engagements de réduction pris en 2021.
@Mike Duhon / Shell

Pour l’Église d’Angleterre, c’est la goutte qui a fait déborder le vase. Wael Sawan, le PDG de Shell, a annoncé le 16 juin à New York devant une assemblée d’investisseurs, qu’il revenait sur les objectifs de réduction de la production pétrolière. La major avait annoncé en 2021 vouloir réduire de 1 à 2% par an sa production d’ici 2030 afin d’aligner ses activités sur les objectifs de l’Accord de Paris. Deux ans plus tard, l’humeur a changé et le dirigeant veut désormais privilégier la rentabilité du groupe. Il va stabiliser la production de pétrole et accélérer dans les activités de gaz naturel. "La performance, la discipline et la simplification seront nos lignes directrices pour allouer notre capital et renforcer la distribution aux actionnaires, tout en permettant la transition énergétique", a déclaré Wael Sawan.

Lors de la dernière assemblée générale de Shell, une partie des actionnaires avaient pourtant fait savoir au groupe leur volonté d'accélérer sur le climat. Une résolution climatique dissidente avait remporté 20% des voix, un score honorable pour une proposition n'émanant pas des dirigeants de l'entreprise eux-mêmes. Mais un mois plus tard, c'est à un autre type d'investisseurs que Wael Sawan a décidé de s'adresser. Le choix de faire l’annonce à New York n’est pas anodin. Shell, comme les autres compagnies européennes, envie les valorisations boursières bien plus élevées des majors américaines. Celles-ci sont en revanche bien moins avancées dans leur transition bas carbone, avec des investissements plus faibles dans les renouvelables.

"Le chemin choisi par Shell n’est pas le bon"

Une partie des investisseurs a applaudi le revirement opéré par Shell, son cours de Bourse ayant progressé de 2% dans la semaine qui a suivi. L’Église d’Angleterre, qui détient plus de 10 milliards de livres sous gestion, a au contraire décidé de désinvestir totalement de Shell. "Nous ne pensons pas que le chemin choisi par l’entreprise soit le bon et nous avons donc demandé à nos gérants de désinvestir de Shell en actions et en dettes", écrit Adam Matthews, directeur des investissements de l’Église d’Angleterre sur LinkedIn.

"La décision n’a pas été prise à la légère, mais nous regrettons profondément que Shell se focalise sur la maximisation des profits à court terme aux dépens de la transition climatique de long terme et des intérêts de long terme d’investisseurs institutionnels tels que nos fonds", ajoute-t-il. La décision a été étendue à toutes les compagnies pétrolières dont BP, Exxon, TotalEnergies, plus aucune ne trouvant grâce à ses yeux.

Shell soutient pourtant ne pas revenir sur son ambition d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. Selon elle, sa production pétrolière a baissé plus vite que prévu et atteint les objectifs fixés pour 2030 en avance. "La production des champs pétroliers diminue naturellement. Shell va donc devoir en trouver de nouveaux pour maintenir sa production au même niveau", analyse cependant Louis-Maxence Delaporte, analyste énergie pour l’ONG Reclaim Finance. Shell prévoit ainsi d’investir 40 milliards de dollars dans la production de pétrole et gaz d’ici 2025.

Les dividendes privilégiés sur la transition énergétique

La major va consacrer dans le même temps 10 à 15 milliards de dollars pour le développement d’énergies bas carbone, comme les biocarburants, l’hydrogène, la recharge électrique des véhicules, etc. Des montants bien insuffisants pour les ONG. Reclaim Finance calcule que pour un dollar attribué à sa division bas carbone, Shell consacrait 6,1 dollars aux hydrocarbures en 2022. Quand aux actionnaires, ils percevaient 7,5 dollars au travers des dividendes et des programmes de rachat d’actions. Et la tendance devrait s’accélérer, Shell prévoyant notamment d’augmenter encore les dividendes de 15% à partir du deuxième trimestre 2023.

BP, l’autre major britannique, avait déjà opéré un revirement de stratégie en février dernier. Elle était revenue sur son ambition de baisser de 40% sa production d’hydrocarbures, en misant sur une baisse de 25%, tout en annonçant une augmentation de 10% du dividende par action. De quoi faire bondir les ONG qui voient les profits records enregistrés par les compagnies pétrolières suite à la crise énergétique s’orienter vers les actionnaires plutôt que vers la transition énergétique. "La plupart des majors pétrolières prennent des engagements pour 2050, avec parfois des cibles intermédiaires, mais à court terme, elles prévoient toutes le maintien de leur production", déplore Louis-Maxence Delaporte.

Arnaud Dumas


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