En Arctique, la toundra n’est plus un puits de carbone. Ces vastes étendues, situées au Canada, en Sibérie et en Alaska, ont été pendant des millénaires des réservoirs naturels de dioxyde de carbone (CO2). Mais le changement climatique a bouleversé cet équilibre. La hausse des températures et la multiplication des incendies dans la région font que ces terres émettent aujourd’hui plus de CO2 qu’elles n’en absorbent.
Après une première alerte de l’Agence nationale océanique et atmosphérique des États-Unis (NOAA), une nouvelle étude internationale, publiée le 21 janvier dans la revue scientifique Nature, a renforcé cette inquiétude. Selon leurs analyses, “plus de 30 % de la région arctique” est désormais une source nette de CO2, et ce chiffre s’élève à 40% si l’on inclut les émissions dues aux feux de forêt.
Fonte du permafrost
La région arctique se réchauffe entre deux et quatre fois plus vite que le reste de la planète en raison de l’“amplification polaire” : en fondant, la glace et la neige, très réfléchissantes, laissent place à l’océan ou à de la végétation, plus sombres, qui absorbent davantage les rayons du soleil, augmentant ainsi la température. Mais “c’est la première fois que nous observons un tel changement à une telle échelle, de manière cumulative dans toute la toundra. C’est un phénomène assez important”, a expliqué Sue Natali, co-auteure et chercheuse principale de l’étude au Woodwell Climate Research Center.
Pour mesurer l’évolution du carbone en Arctique au cours des dernières décennies, les chercheurs ont combiné les données de 200 sites de surveillance. La plupart des émissions de CO2 qu’ils ont observées se concentrent là où le dégel du permafrost est le plus important. Lorsque ce sol, gelé depuis des millénaires fond, il libère du carbone que les microbes présents sur le sol consomment, puis rejettent dans l’atmosphère, soit sous forme de dioxyde de carbone, soit sous forme de méthane. “Les sols arctiques contiennent une quantité importante de carbone, note Anna Virkkala, l’une des auteures de l’étude. Cela représente près de la moitié du stock de carbone du sol terrestre, et bien plus que ce qu’il y a dans l’atmosphère”, alerte-t-elle.
Multiplication des feux
Cependant, la fonte du permafrost n’est pas le seul facteur de ce changement : les feux de forêt jouent également un rôle croissant dans les émissions de CO2. Or, le changement climatique les a rendus plus fréquents et plus importants. “Bien que nous ayons constaté que de nombreux écosystèmes nordiques agissent encore comme des puits de dioxyde de carbone, les incendies annulent désormais une grande partie de cette absorption nette et inversent les tendances de long terme”, souligne Anna Virkkala.
D’après la NOAA, l’année 2024 a été “la deuxième année la plus riche en émissions de feux de forêt au nord du cercle polaire arctique”. Au-delà de ce record, les incendies altèrent également les propriétés de la surface du sol arctique. Toutefois, prévient la NOAA, le nouvel état de l’Arctique n’est pas stable : il va encore se dégrader, poussant la région vers un “territoire inconnu”.