Publié le 16 mai 2025

Au travers d’un référendum, les salariés du cabinet EY & Associés ont demandé la réinstauration d’une limite du temps de travail à 48 heures par semaine. Une contestation menée majoritairement par les salariés de la génération Z, dont le rapport au travail centré sur le bien-être bouleverse l’organisation des entreprises.

C’est une petite révolution. Mi-avril, les 3 000 salariés de la branche audit du cabinet EY & Associés ont été appelés à s’exprimer sur leur temps de travail lors d’un référendum consultatif organisé par quatre syndicats (CFDT, CGT, FO et CFTC). Le résultat a été sans équivoque : 96% des votants, sur un taux de participation de 40%, se sont prononcés en faveur d’un retour à la semaine de “seulement” 48 heures. La limitation du temps de travail avait en effet été supprimée en 2021 dans le cadre d’un accord d’entreprise, laissant la possibilité, lors de pics d’activité, d’étirer les semaines jusqu’à 70 heures pour les cadres au forfait jour.

Bien qu’accompagnée de “mesures d’équilibre”, cette nouvelle organisation fait aujourd’hui l’objet d’une contestation principalement portée par les salariés les plus jeunes, arrivés dans la société depuis 2020. “La génération Z est majoritaire au sein d’EY, ils représentent 60% à 70% des employés, souligne Marc Verret, délégué CGT dans la branche audit du cabinet et porte-parole de l’intersyndicale, interrogé par Novethic. C’est très puissant comme transformation : le taux de participation indique clairement que l’attente d’un meilleur équilibre entre vie professionnelle et privée émane de cette évolution générationnelle”.

Nouveau rapport au temps

Début 2023, 42% des salariés déclaraient travailler plus de 48 heures durant quinze semaines ou plus dans l’année, selon un sondage mené par les syndicats auprès d’un peu plus de 200 répondants. Pour 55% d’entre eux, cette surcharge serait à l’origine de “conséquences néfastes sur leur santé”. “Dans mon équipe, tout le monde avait de l’eczéma ; moi, je faisais de la tachycardie. On avait tous en commun des semaines de 60, 70, 80 heures, des journées qui commençaient à 9 heures et finissaient à 2 heures du matin”, témoigne par exemple une ancienne salariée d’EY & Associés auprès du Monde.

“Moi, je faisais de la tachycardie”

“Il y a eu une explosion des arrêts maladies de plus d’une semaine qui ont augmenté de 45% entre 2017 et 2024, confirme Marc Verret. Mais c’est seulement la partie émergée de l’iceberg. La moitié des gens font face à des pathologies légères qui ne déclenchent pas d’arrêt maladie mais troublent la qualité de vie”. Des conditions de travail à contre-courant des attentes des salariés de la génération Z. D’après une enquête Ipsos publiée en juin 2024, 80% des jeunes employés placent l’équilibre entre vie professionnelle et personnelle en haut de leurs critères de choix pour rejoindre une entreprise. 49% affirment en outre ne pas être prêts à travailler plus en cas de pic d’activité sans contrepartie financière.

“Tout donner à une entreprise, grimper les échelons, sacrifier beaucoup de choses en vue de récompenses futures, ce sont des notions qui n’existent plus pour cette génération”, analyse pour Novethic l’anthropologue Elisabeth Soulié. Pour l’essayiste et autrice de “La génération Z aux rayons X”, cela s’explique par le rapport qu’entretiennent les jeunes salariés au temps. “Les générations précédentes étaient dans un temps long, qui permettait de construire les étapes d’un projet à long terme. La génération Z, qui vit dans la culture numérique, est quant à elle dans l’immédiateté”. Dès lors, cette dernière déplace le curseur de la réussite vers des notions de bien-être et d’épanouissement personnel, et ce dans l’instant présent.

Alignement des valeurs

Le débat en cours au sein d’EY & Associés illustre pleinement cette bascule, à laquelle s’ajoute une double désillusion. La première est liée à la perte du pouvoir d’achat. “Aujourd’hui, les salaires sont confortables mais beaucoup moins au regard de l’inflation. Il y a une forme de désillusion face au travail qui rapporte moins qu’à une certaine époque”, avance Marc Verret. La seconde porte plus globalement sur l’impact des systèmes économiques sur les êtres humains. “Ce sont aujourd’hui les équipes de consultants RSE, arrivés depuis cinq ans, qui sont à la pointe de la contestation”, constate le délégué CGT. Or, “la prise de conscience écologique de ces salariés a fait émerger, par effet tache d’huile, des doutes vis-à-vis du fonctionnement même des entreprises”, ajoute-t-il.

La Gen Z attache par ailleurs une grande importance à l’alignement entre les valeurs projetées par les sociétés et la réalité opérationnelle des employés. “EY affirme vouloir “construire un monde du travail meilleur”, mais il faut que ces valeurs soient incarnées au sein même des tâches, de l’équipe et du management, observe Elisabeth Soulié. La génération Z porte une forme d’exigence entre ce qui est dit et ce qui est fait”. Une aspiration à laquelle les entreprises vont devoir s’adapter pour retenir toute une génération de salariés. Du côté d’EY & Associés, la direction affirme continuer à “être à l’écoute de l’ensemble de ses collaborateurs” et le dialogue est toujours en cours. “A défaut, on renforcera le rapport de force”, prévient l’intersyndicale.

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