Réussir sa vie plutôt que réussir sa carrière professionnelle. C’est l’option que semble avoir choisi la génération Z, ces moins de 30 ans nés entre 1995 et 2010. Une étude récente du cabinet de recrutement Robert Walters montre en effet que 52% des “Gen Z” déclare ne pas vouloir devenir manager. Parmi ceux-là, si un peu plus du tiers sait qu’il sera obligé d’accepter un poste d’encadrement à un moment dans sa carrière, 16% entend rester ferme sur ses positions et refuser toute promotion.
Ils sont même encore plus nombreux – 72% des personnes interrogées – à dire qu’ils préfèrent se débrouiller seuls pour progresser plutôt que de compter sur leur entreprise, en privilégiant le développement personnel et l’accumulation de nouvelles compétences. “Le mot carrière n’est pas à employer avec cette génération, explique Elisabeth Soulié, anthropologue et essayiste, autrice de “La génération Z aux rayons X”. Elle ne veut pas seulement développer ses compétences professionnelles, mais aussi son potentiel de vie. Ce n’est pas du tout la même approche du travail.”
Stress élevé pour peu de récompenses
Cette tendance a été baptisée “conscious unbossing” en référence au “great unbossing”, une période du début 2024 quand de grands groupes américains comme Meta, Citigroup ou Salesforce, ont annoncé vouloir tailler dans leurs effectifs de managers. Le fait de refuser sciemment de devenir manager ne se retrouve pas chez les aînés des Gen Z qui sont au contraire 63% à accorder beaucoup d’importance aux postes de management.
Mais pour une grande partie des moins de 30 ans, manager est surtout synonyme de niveau de stress élevé pour de trop faibles récompenses. Ils citent également le fait que ces postes n’ont finalement que très peu de latitude de décision, et qu’ils empêchent le réel développement personnel. “Ceux qui deviennent managers font face à une forte augmentation de leur charge de travail, à la nécessité d’être toujours disponible pour leur équipe, et à une pression constante d’atteindre leurs objectifs, remarque dans un communiqué Lucy Bisset, directrice de Robert Walters. Il est clair que ces postes peuvent s’avérer écrasants et en dissuader beaucoup de prendre plus de responsabilités.”
Le travail n’est plus au centre de tout
Selon Elisabeth Soulié, la Gen Z ne se projette plus sur le temps long et ne met plus son contrat de travail au centre de tout. “Contrairement à la génération précédente qui recherche un équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle, il y a une porosité permanente entre les deux pour la génération Z, explique l’anthropologue. Ils ne se laissent pas assigner à résidence.” Elle décrit cette jeune génération comme étant hyper engagée, avec un grand retour de l’affect, et beaucoup plus à l’écoute de l’état de sa santé mentale.
Cette génération refuse ainsi les compromissions avec ses propres valeurs. Un précédent rapport avait ainsi fait émerger la tendance au “conscious quitting” ou démission consciente des jeunes qui ne se retrouvaient pas dans les valeurs de leur entreprise. Un sur trois révélait avoir démissionné pour cette raison. Certain n’hésitent d’ailleurs pas à le faire savoir sur les réseaux sociaux, lorsque leurs conditions de travail ne les satisfont pas, dans un phénomène baptisé “loud quitting” ou démission bruyante.
Un pacte relationnel plutôt qu’un contrat
Pour les entreprises, le recrutement de ces jeunes talents peut s’avérer déroutant. D’autant que, selon l’étude de Robert Walters, seuls 14% d’entre eux considèrent toujours que la structure de hiérarchie traditionnelle dans les entreprises est encore adaptée à l’époque actuelle. Les entreprises, en revanche, y restent bel et bien attachée, puisque 89% des employeurs estiment que le middle-management est crucial dans leur organisation.
Comment dans ces conditions concilier les besoins des entreprises avec les attentes des nouveaux venus sur le marché du travail ? “Je passe ma vie à donner des conférences en entreprises, qui doivent attirer, manager et retenir ces talents“, confie Elisabeth Soulié. Elle donne quelques clés pour mieux les comprendre, en suggérant de “les fidéliser par un pacte relationnel, hyper personnalisé, avec des retours permanents sur leur travail. Si on attend l’entretien de mi-année pour donner un feedback, on les perd !”
Le cabinet Robert Walters, de son côté, estime que les entreprises devraient se saisir du “conscious unbossing” pour réfléchir à leur approche de la hiérarchie. Les managers pourraient alors devenir plutôt des “facilitateurs” permettant aux équipes de prendre plus d’initiatives, plutôt que de rester une strate hiérarchique parmi d’autres.