Publié le 4 décembre 2024

Le plan “Ambition Industrie” va-t-il détruire le droit de l’environnement français ? Le gouvernement de Michel Barnier, par ailleurs menacé de censure, a en effet annoncé vouloir revenir sur plusieurs réglementations clés pour la protection environnementale telles que la Commission Nationale du Débat Public, l’objectif zéro artificialisation nette (ZAN), ou encore les obligations de réduction des émissions de CO2 dans l’automobile.

En matière de réglementations sociales et environnementales, les semaines se suivent et se ressemblent dernièrement. Après les annonces de moratoire sur la CSRD (la directive européenne sur le reporting extra-financier), c’est au tour des normes environnementales dans l’industrie d’être remises en cause. Au nom de la réindustrialisation, le Premier ministre, Michel Barnier, dont le gouvernement est par ailleurs menacé de censure, vient en effet de faire plusieurs annonces allant dans le sens d’un allègement des procédures visant à protéger l’environnement et les écosystèmes, et notamment d’une remise en cause de la démocratie environnementale.

Le plan “Ambition Industrie” présenté par le gouvernement avec l’objectif d’accélérer la réindustrialisation en France, prévoit ainsi que les projets industriels ne figurent plus dans le champ d’intervention de la Commission Nationale du Débat Public (CNDP). Ironique, la commission avait pourtant été créée par Michel Barnier lui-même en 1995, et visait à permettre l’information et la consultation du public lors du développement de grands projets industriels ou d’infrastructures pour une meilleure prise en compte des enjeux sociaux et environnementaux lors de la mise en œuvre des projets d’envergure.

“Ces mesures passent à côté de l’objectif de simplification”

Selon le gouvernement, la suppression de l’obligation de recours à la CNDP pour les projets industriels devrait permettre un gain de temps de 6 à 12 mois pour l’installation de projets industriels. Mais dans les faits, la mesure ne touchera que les très gros projets industriels, pour lesquels le recours à la CNDP est aujourd’hui requis, soit des projets dont les coûts sont supérieurs à 600 millions d’euros pour la saisine obligatoire, et supérieurs à 300 millions d’euros pour la saisine facultative. Des sommes bien-au delà du coût de la plupart des projets industriels en France : la plus grande usine de méthanisation du pays, située dans la Sarthe et annoncée en septembre dernier, affiche un coût prévisionnel de “seulement” 11 million d’euros, quand la gigafactory de panneaux photovoltaïques du géant chinois Das Solar annoncée il y a quelques jours coûtera une centaine de millions d’euros.

“L’entreprise de détricotage du droit de l’environnement et de la démocratie environnementale franchit un nouveau cap”, commente Jérémie Suissa, délégué général de Notre Affaire à Tous, association spécialisée dans le droit de l’environnement, qui fustige la “destruction progressive de tous les dispositifs qui garantissent la sécurité des projets industriels, l’acceptabilité démocratique et la responsabilité des industriels.” La suppression des procédures de concertation et de débat public s’ajoute à l’annulation du “double degré de juridiction” pour les contentieux liés aux projets industriels : en d’autres termes, si un contentieux est porté devant la justice pour l’installation d’un projet d’industrie, la décision du tribunal ne pourra pas faire l’objet d’un appel.

Autre mesure envisagée : l’exemption pour les projets industriels des objectifs Zéro Artificialisation Nette (ZAN). Là encore, l’objectif est de limiter les contraintes administratives et juridiques et de faciliter l’installation de projets industriels, dans l’idée d’accélérer la réindustrialisation du pays. Mais pour l’avocat spécialisé Arnaud Gossement, “ces mesures tomberont à côté de leur objectif de simplifier la vie des entreprises”. Interrogé par Les Echos, il explique que les projets industriels sont en réalité très peu concernés par d’éventuels retards ou blocages liés au débat public ou à l’objectif ZAN. “Le gouvernement dénombre près 150 000 hectares de friches industrielles, nous avons 10 fois plus d’espace utilisable que ce dont nous avons besoin : la ZAN n’empêche absolument pas d’avoir une politique de relocalisation industrielle”, abonde Jérémie Suissa.

Peu de mesures sur la transition écologique et la décarbonation

Si les représentants d’intérêt du secteur se sont félicités des annonces du gouvernement, notamment par la voix du groupe de lobbying France Industrie, qui “salue l’initiative du gouvernement réaffirmant la nécessité de réindustrialiser la France”, les associations de protection environnementale ont dénoncé un recul. Le risque est en effet que cette simplification bénéficie à des projets industriels polluants et très émetteurs de CO2 comme les data centers par exemple, avec à la clé la “multiplication des pollutions, des menaces sur la santé des riverains, de la destruction des écosystèmes, de l’artificialisation débridée, et des gaspillages d’argent public”, comme l’explique Jérémie Suissa.

La transition écologique et la décarbonation de l’industrie sont d’ailleurs assez peu abordées dans le plan “Ambition Industrie”, en dehors du déblocage d’1,55 milliard d’euros de crédits pour la décarbonation des 50 sites industriels les plus polluants de France. A l’heure où la décarbonation de ces sites patine, et quelques jours après l’annonce par ArcelorMittal (propriétaire du site le plus émetteur du pays) de reporter ses projets de décarbonation, l’effort paraît insuffisant.

Plusieurs propositions du plan visent par ailleurs à affaiblir les réglementations sociales et environnementales. Le gouvernement de Michel Barnier propose ainsi d’exempter les constructeurs automobiles européens des amendes prévues dans le cadre de la réglementation européenne sur les obligations de réduction des émissions de gaz à effet de serre des véhicules. Dans la lignée des propositions de reculs sur les réglementations européennes du Green Deal, le plan “Ambition Industrie” annonce également la future suppression des sanctions pénales des dirigeants qui ne respecteraient pas les obligations de transparence sociale et environnementale dans le cadre de la directive CSRD. Le gouvernement a également annoncé une future révision des seuils de la directive sur le devoir de vigilance des entreprises européennes, une révision qui conduirait à diminuer considérablement le nombre d’entreprises soumises à des obligations de vigilance environnementale.

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