Publié le 19 mai 2025

Le rapport de la commission d’enquête sénatoriale sur le scandale des eaux en bouteille qui frappe Nestlé Waters fournit de nouvelles révélations sur l’implication de l’Etat dans ce dossier. L’industriel serait intervenu auprès de l’Agence régionale de santé pour modifier un rapport en sa faveur.

Les autorités ont “édulcoré” un rapport à la demande de Nestlé Waters fin 2023 en acceptant de supprimer “certaines mentions de bactéries contaminant les eaux” de Vergèze, dont les sources sont utilisées pour Perrier, révèle ce lundi 19 mai la commission d’enquête sénatoriale sur le scandale des traitements illicites utilisés notamment par Nestlé Waters (Perrier, Hépar, Contrex). Une nouvelle révélation qui figure dans le rapport final rendu public en fin de matinée. La commission indique avoir été saisie à la fin de ses travaux par “un lanceur d’alerte sur un épisode qui illustre parfaitement les dysfonctionnements de l’action de l’État et les pratiques d’un industriel”.

Après avoir constaté fin 2020 l’utilisation de traitements illégaux sur ses sites du Gard (Perrier) et des Vosges (Contrex, Hépar), Nestlé Waters soumet au gouvernement un plan de transformation incluant le remplacement des traitements par une microfiltration controversée mais aussi la conversion de deux des puits de Vergèze pour produire de l’eau de boisson Maison Perrier, traitée, et donc sans la mention eau minérale naturelle. La production d’eaux aromatisées Maison Perrier est toutefois soumise à autorisation des autorités locales après avis du conseil départemental de l’environnement et des risques sanitaires et technologiques (Coderst) du Gard, présidé par le préfet mais aussi composé de membres d’associations de consommateurs.

“L’industriel a caviardé le rapport de l’ARS”

C’est l’autorité régionale de santé (ARS) qui est chargée dans ce cadre d’un rapport concernant notamment la “qualité de l’eau brute” et les “analyses microbiologiques“. Mais celui-ci ne convient pas à l’industriel. Selon le rapport parlementaire, Nestlé a demandé des modifications, d’abord à l’ARS puis au niveau de cabinets ministériels. Des échanges entre les dirigeants de l’ARS évoquent des “engagements pris un peu à la va vite” par le préfet auprès de Nestlé Waters concernant ces modifications. “Nous proposons cette version en rouge, mais on ne peut pas aller au-delà”, indique le directeur de l’ARS pour le Gard.

La version finale du rapport de l’ARS retire la liste des bactéries détectées mais aussi d’herbicides après que l’industriel a transmis “de nouveaux paragraphes à substituer”. Des passages sur les bonnes pratiques de l’industriel ont également été ajoutés. “L’industriel a caviardé, est devenu censeur, et même co-auteur d’un rapport d’une autorité régionale de santé. Le fonctionnaire instructeur du rapport a refusé ce caviardage et retiré sa signature. Mais le document a quand même été modifié sous la dictée de Nestlé”, s’indigne le rapporteur de la commission Alexandre Ouizille, appelant à une “inspection et sanction“.

Ce dossier vient encore un peu plus entacher l’affaire des traitements illicites utilisés pour certaines eaux minérales, révélée par la presse début 2024. Dès le mois d’avril, le rapporteur de la commission d’enquête sénatoriale avait révélé une “dissimulation par l’Etat” relevant “d’une stratégie délibérée”. “Outre le manque de transparence de Nestlé Waters, il faut souligner celui de l’État, à la fois vis-à-vis des autorités locales et européennes et vis-à-vis des Français (…) Cette dissimulation relève d’une stratégie délibérée, abordée dès la première réunion interministérielle sur les eaux minérales naturelles le 14 octobre 2021. Près de quatre ans après, la transparence n’est toujours pas faite”, souligne ce rapport rendu public lundi après six mois de travaux et plus de 70 auditions.

“La présidence de la République savait”

Nestlé Waters, dont la direction assure avoir découvert fin 2020 sur ses sites Perrier, Hépar et Contrex l’usage de traitements interdits pour de l’eau minérale, avait sollicité à ce sujet mi-2021 le gouvernement, puis jusqu’à l’Elysée. Selon le minéralier, il s’agissait d’“assurer la sécurité sanitaire” des eaux lors d’épisodes de contaminations bactériologiques de forages. Dix-huit mois plus tard, un plan de transformation de ses sites était approuvé par les pouvoirs publics, remplaçant les traitements interdits (UV, charbon actif) par une microfiltration fine par ailleurs controversée car à même de priver l’eau minérale de ses caractéristiques. Or le droit européen stipule qu’une eau minérale naturelle ne peut faire l’objet d’aucune désinfection ou traitement de nature à modifier ses caractéristiques.

Malgré la fraude aux consommateurs que représente la désinfection de l’eau, les autorités ne donnent pas de suites judiciaires à ces révélations” de 2021, souligne le rapport. Les sénateurs déplorent ensuite une “inversion de la relation entre l’État et les industriels en matière d’édiction de la norme”: “Nestlé Waters adopte une attitude transactionnelle, posant explicitement l’autorisation de la microfiltration à 0,2 micron comme condition à l’arrêt de traitements pourtant illégaux”. “En définitive, c’est au plus haut niveau de l’État que s’est jouée la décision d’autoriser une microfiltration sous le seuil de 0,8 micron”, au terme d’une “concertation interministérielle”, “dans la continuité des arbitrages pris par le cabinet de la Première ministre, Elisabeth Borne, mais sans que celle-ci ne semble informée”, note le rapport.

De son côté, la présidence de la République, loin d’être une forteresse inexpugnable à l’égard du lobbying de Nestlé, a suivi de près le dossier”, ajoute la commission, qui se base sur “des documents recueillis par ses soins”: elle “savait, au moins depuis 2022, que Nestlé trichait depuis des années”. Alexis Kohler, à l’époque secrétaire général de l’Elysée, avait lui aussi reçu les dirigeants de Nestlé. Interrogé par la presse en février, Emmanuel Macron avait démenti être au courant du dossier.

Trois milliards d’euros

Parmi les conséquences de cette gestion du dossier, le rapport note que l’industriel a pu continuer à commercialiser son eau sous l’appellation – lucrative – d’eau minérale naturelle.  Dans le même temps, à ce jour, il n’y a pas “de vérifications exhaustives de l’absence de traitements interdits sur tous les sites de production d’eau conditionnée”, note-t-il. Parmi 28 recommandations, il préconise ainsi un suivi qualitatif des nappes, “un contrôle effectif du niveau de prélèvement réalisé par les minéraliers”, un meilleur étiquetage pour les consommateurs.

Aujourd’hui, Perrier attend la décision de renouvellement de son autorisation d’exploiter la source comme “eau minérale naturelle“. Alors que des hydrogéologues mandatés par l’Etat ont rendu un avis défavorable, la préfecture du Gard doit se prononcer d’ici au 7 août. En attendant, elle a donné deux mois au groupe pour retirer son système de microfiltration, estimant qu’il “modifie le microbisme de l’eau produite, en contradiction avec la réglementation”. Nestlé dit disposer de solutions alternatives, qu’il souhaite proposer aux autorités.

Globalement, le marché des eaux minérales et de source françaises (104 sites, 11 000 emplois directs) représente quelque 3 milliards d’euros de chiffre d’affaires annuel. Un rapport demandé par le gouvernement à l’Inspection générale des affaires sociales, lui aussi révélé par la presse, avait conclu en 2022 que 30% des marques d’eaux en bouteille “subissent des traitements non conformes”.

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