Fast-déco, fast-fashion : même combat. Petits prix, multiplication des collections, baisse de qualité, incitations permanentes à l’achat… Dans un nouveau rapport publié mi-mai, les ONG Zero Waste, les Amis de la Terre et le Réseau national des ressourceries et recycleries décryptent le modèle de la “décoration rapide”. Cette tendance, qui décline les pratiques mais aussi les travers des géants de la mode jetable, s’installe de plus en plus solidement dans les habitudes de consommation des Français, dont l’habitation a pris une nouvelle dimension suite à la crise sanitaire.
En témoignent les chiffres du marché de l’ameublement, qui ne cessent de progresser, atteignant des records. En 2021, 547 millions d’unités ont été mises sur le marché en France, soit une hausse de 104% en seulement quatre ans selon les données de l’Agence de la transition écologique (Ademe). Un secteur en pleine explosion, poussé par l’arrivée de nombreux circuits de distribution. “On observe une multiplication des acteurs en vingt ans”, indique Pauline Debrabandere, coordinatrice de campagnes pour Zero Waste, lors d’un point presse.
De plus en plus d’enseignes
Encore dominé par la grande distribution, dont Ikea reste le champion incontesté, le marché a vu l’émergence de plusieurs enseignes “aux profils distincts” notent les auteurs du rapport. “Au total, une vingtaine d’acteurs dans ces différents circuits génèrent 60% des ventes du secteur”, expliquent-t-ils. Tandis que certaines marques, à l’image d’Habitat, ont payé au prix fort les difficultés liées aux divers confinements et à l’inflation, d’autres ont su tirer leur épingle du jeu en mettant en place un nouveau modèle. C’est le cas de l’enseigne de destockage Action, qui, en jouant sur un phénomène d’opportunité et une forte saisonnalité de ses collections, montre un “dynamisme exceptionnel”.
Les années 2000 ont par ailleurs marqué l’arrivée des enseignes de fast-fashion dans le secteur de la décoration, comme Zara et H&M. Véritables relais de croissance, l’ameublement leur a permis, en partie, de compenser la baisse de consommation observée dans l’habillement, tout en se démarquant des nouveaux géants de l’e-commerce : Shein et Temu. Partenariats avec des influenceurs, gamification, stratégies de marketing émotionnel… Les deux plateformes d’ultra fast-fashion ne reculent devant rien pour pousser les consommateurs à l’achat, tout en proposant une offre constamment renouvelée. Là où Maisons du Monde ajoute 3000 nouvelles références par an à son catalogue, Temu et Shein en proposent une quinzaine par jour.
Déforestation et travail forcé
Une surenchère qui a un coût. “Quand on produit de grosses quantités à bas prix, les aspects sociaux et environnementaux sont forcément négligés”, rappelle Pierre Condamine, chargé de campagne surproduction aux Amis de la Terre. Côté environnement, la production, qui comprend l’extraction des ressources, leur transformation ou encore l’assemblage des produits, constitue le plus gros de l’impact, estime l’Ademe. Pour les meubles, il se situerait en 50% et 80%. Les pressions sur les ressources en bois sont particulièrement importantes. Un des exemples les plus parlants est celui d’Ikea, mis en lumière dans le documentaire “Le seigneur des forêts” disponible sur Arte. L’enseigne suédoise couperait un arbre toutes les deux secondes pour fabriquer ses produits.
Peu documentés, et difficiles à estimer face à l’opacité des marques quant à leur chaîne d’approvisionnement, les impacts sociaux de la fast-déco sont tout aussi alarmants. Plusieurs ONG ont ainsi pointé du doigt les conditions de production du coton en Chine, où interviendraient des travailleurs Ouïghours. En Biélorussie, la fabrication de mobilier en bois serait opérée par des prisonniers politiques condamnés au travail forcé. Des meubles ensuite commercialisés en Europe par Ikea ou But selon l’association Earthsight.
3% des meubles réemployés
A l’autre bout de la chaîne du cycle de vie des produits, le modèle de la “décoration rapide” représente également une importante source de déchets. Entre 2014 et 2020, le nombre de déchets d’éléments d’ameublement collectés a été multiplié par deux, pour atteindre 1,3 million de tonnes en 2022, soit plus de 18 kg par habitant et par an. Un chiffre considérable qui ne prend pas en compte les petits objets de décoration. “On est sur un processus de “jetabilisation” du monde”, estime Catherine Mechkour Di Maria, secrétaire générale du Réseau national des ressourceries et recycleries.
En parallèle, le réemploi, pourtant levier clé pour assurer la durabilité du cycle de vie des objets, fait face à de nombreuses barrières. Mauvaise qualité des produits, manque de financements, foncier insuffisant… Résultat, seuls 3% des meubles collectés sont réutilisés, tandis que 36% finissent incinérés ou valorisés énergétiquement. Pour changer la donne, les auteurs du rapport appellent les pouvoirs publics à réguler la fast-déco, au même titre que la fast-fashion. Ils proposent notamment d’inscrire dans la loi une trajectoire progressive de réduction des quantités mises sur le marché, mais aussi la mise en place d’un bonus-malus pour les enseignes commercialisant un trop grand nombre de produits.