Ils sont prêts à en découdre avec la mode rapide. Ces dernières semaines, plusieurs députés ont ouvert coup sur coup le débat sur la régulation de la fast-fashion en France. Dans leur viseur, les géants de l’habillement dont la production en masse, revendue pour quelques euros aux quatre coins du globe, pèse lourdement sur l’environnement et les droits sociaux des ouvrières textile. Le 30 janvier dernier, Anne-Cécile Violland et le groupe Horizons ont ainsi déposé une proposition de loi introduisant l’interdiction de la publicité pour les marques de mode éphémère et la mise en place de pénalités financières. Examiné le 14 mars prochain dans l’hémicycle, le texte a d’ores et déjà reçu le soutien du gouvernement par la voix de Christophe Béchu, ministre de la Transition écologique.
Une seconde proposition de loi, annoncée début février par le député LR Antoine Vermorel-Marques, prévoit également l’instauration d’un bonus-malus. Dans une vidéo TikTok atteignant plus de 900 000 vues, l’élu aspire à “démoder” la fast-fashion en appliquant une pénalité de cinq euros par produit, à une précision près : seuls sont concernés “les producteurs qui mettent sur le marché plus de mille nouveaux modèles par jour”. De son côté, le groupe Horizons s’appuie sur le nombre de modèles et le renouvellement des collections afin de déterminer les entreprises sanctionnées. Un périmètre qui “ne permet de s’attaquer qu’à la partie émergée de l’iceberg”, regrette auprès de Novethic Pierre Condamine, chargé de campagne surproduction aux Amis de la Terre.
7 200 nouveaux modèles par jour
Avec ces modalités, les élus ciblent en effet prioritairement les géants chinois de l’e-commerce, comme Shein et son nouveau concurrent Temu, classés dans la catégorie de la “real-time fashion”. Selon un rapport des Amis de la terre, Shein aurait par exemple mis en vente “plus de 7 200 nouveaux modèles de vêtements par jour en moyenne” au mois de mai 2023. Afin d’encadrer au mieux les entreprises de la mode rapide, la coalition Stop Fast-Fashion suggère l’adoption d’un seuil à 5 000 modèles par an. “Il faudrait également pénaliser les marques sur la quantité de vêtements commercialisés et vendus”, souligne Pierre Condamine. “Aujourd’hui, il n’y a pas que Shein qui pose problème, précise-t-il, mais aussi Zara, H&M, Décathlon ou encore Kiabi”.
Kiabi aurait ainsi vendu 149 millions de pièces en 2022 rapporte l’association En mode climat dans un classement des entreprises ayant écoulé le plus de vêtements en France. La grande distribution arrive juste derrière, avec E. Leclerc, Carrefour ou Auchan, suivi par Primark en sixième place et Décathlon en huitième position. Au total, “70% des vêtements en France sont issus de la fast-fashion”, nous explique Catherine Dauriac, présidente de Fashion Revolution France. Mais si face à ce constat, les plateformes d’e-commerce sont particulièrement pointées du doigt, c’est également dû à une stratégie de différenciation adoptée par des marques historiques, comme H&M ou Zara.
Changement de perception
Collection capsule avec des créateurs, collaboration avec des photographes renommés, augmentation des tarifs… Si ces stratégies ne sont pas nouvelles, elles permettent à certaines marques de prendre les atours de griffes plus “premium”, provoquant un glissement dans la perception de la qualité de leurs produits. “En communiquant sur les savoir-faire, en développant des matières plus qualitatives et des modèles intemporels en quantités limitées, ces enseignes empruntent les codes du luxe. Elles amorcent leur montée en gamme, cherchant à modifier la façon dont on les perçoit”, analyse Gachoucha Kretz, professeure associée de marketing à HEC Paris, dans Le Monde. Une évolution renforcée par l’effet de contraste engendré par l’arrivée de l’ultra fast-fashion.
“Quand on compare une pièce Zara et une pièce Shein, Zara sera perçu comme plus qualitative et ce même sans que la marque n’ait rien à changer dans sa façon de faire”, abonde Thomas Ebélé, co-fondateur de SloWeAre, label RSE dédié aux marques de mode. Résultat, comme ils pourraient le faire avec des griffes de luxe, de nombreux consommateurs comparent sur les réseaux sociaux des tenues équivalentes achetées auprès de l’enseigne espagnole et de Shein, ventant les petits prix de ce dernier. Sur Tiktok, le hashtag #ZaraDupe atteint ainsi près de 290 millions de vues. “Zara est en train de se positionner en milieu de gamme, mais ça reste de la fast-fashion. C’est la raison pour laquelle il est nécessaire de définir clairement la mode rapide, sans distinction entre fast et ultra fast-fashion”, réplique Pierre Condamine. “Sans ça, on ne règlera pas le problème en profondeur.”