Alors que la CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) va progressivement imposer aux entreprises de déployer de nouveaux plans d’action RSE (Responsabilité Sociale des Entreprises), un frein pourrait ralentir cette intégration : le manque d’implication des managers et top managers. Ces personnels clé dans les entreprises, qui concentrent les pouvoirs de décision, sont en effet peu préparés aux impératifs liés à la transformation durable.
Plusieurs études montrent en effet que les managers et top managers sont souvent le chaînon manquant dans la mise en œuvre des stratégies de durabilité. Selon une étude du Boston Consulting Group publiée en 2023, les administrateurs dans les grandes entreprises ont par exemple une image plutôt négative de la RSE : plus des deux tiers des administrateurs (68%) estiment ainsi que la durabilité a peu d’impact sur la performance financière aujourd’hui.
“Il faut une meilleure implication des dirigeants”
Mais c’est plus largement une méconnaissance des enjeux RSE à la tête des entreprises que l’on observe : seuls 29% des administrateurs de conseils d’administration mondiaux se sentent suffisamment formés ou informés pour contester ou surveiller l’exécution d’une stratégie de développement durable, et près de la moitié considèrent que cela ne fait tout simplement pas partie de leurs compétences et de leur fiche de poste. Pour Bertrand Desmier, expert des stratégies RSE, ce manque d’engagement des top managers freine l’intégration de la RSE : “il faut une meilleure implication des dirigeants sur ces sujets, que les dirigeants comprennent qu’on ne peut plus gérer une entreprise seulement à travers le prisme financier. Si les dirigeants ne sont pas engagés, la RSE ne peut pas être vraiment pilotée.”
Faute de vision et d’objectifs clairs, c’est l’ensemble de la chaîne de management qui est en retard en matière d’implication sur les thématiques RSE. Pour Martin Richer, expert du management de la RSE, c’est même le “nœud gordien” qui bloque le déploiement de la RSE. “75% des salariés en France considèrent que leur manager n’est pas engagé sur le sujet de la RSE,” explique-t-il. Pour Bertrand Desmier, “les managers n’ont souvent aucune idée de la manière dont ils peuvent participer au déploiement et au pilotage de la politique RSE. Ils n’ont même pas une ligne sur la RSE dans leur fiche de poste !” Et pour cause, lorsqu’on les interroge, les managers des grandes entreprises disent certes connaître la RSE, mais 35% reconnaissent n’avoir même jamais évoqué le sujet avec leurs N-1… Conséquence : à peine un salarié sur quatre perçoit ainsi son manager comme pleinement engagé sur les sujets RSE et 4% seulement le voient comme un moteur de la transformation durable de leur entreprise.
Mieux calibrer les investissements en matière de RSE
Pour Catherine Jacquet, directrice de projets au sein du groupe Cegos, “les enjeux de développement durable n’étant pas encore suffisamment au cœur des modèles économiques dans la plupart des organisations, les managers ont du mal à s’impliquer sur ces sujets qui ne touchent pas encore leurs métiers au quotidien”. L’enjeu semble donc être double : d’abord, mieux intégrer la RSE au modèle d’affaires de l’entreprise. C’est l’objectif théorique de la CSRD, comme le rappelle Bertrand Desmier : “elle doit être avant tout un levier transformatif”. “L’idée n’est pas seulement de faire du reporting, mais de créer les conditions d’un véritable pilotage de la RSE dans l’entreprise, qui implique notamment les managers et leurs équipes opérationnelles”, explique-t-il.
Plus spécifiquement, “la clé c’est qu’il faut que les managers soient impliqués dans la démarche, qu’ils disposent des outils, des compétences, des procédures dédiées à la gestion de leurs impacts”, analyse Martin Richer. Ainsi, la définition d’objectifs professionnels adossés à la RSE à tous les échelons du management est identifiée par la recherche comme un moyen solide de faciliter le déploiement opérationnel de la RSE.
L’autre enjeu, c’est de mieux calibrer les investissements en matière de formation liée à RSE. Aujourd’hui en France, selon le Cegos, 80% des salariés affirment avoir bénéficié d’une formation en lien avec la RSE au cours des trois dernières années. Fresques diverses, ateliers de sensibilisation, et autres pitchs supposés engager les salariés se développent dans de nombreuses entreprises. Mais elles tapent à côté. Selon Martin Richer, “les études montrent que les salariés sont déjà volontaires et impliqués en matière de durabilité, ce qu’il leur manque, ce sont les ressources et le cadre pour intégrer la RSE à leur quotidien professionnel”. 60% des salariés français voudraient plutôt que leur entreprise accompagne les managers de proximité pour les aider à piloter la RSE dans leurs métiers et avec leurs équipes. Autrement dit, il s’agirait aujourd’hui pour les entreprises d’améliorer la formation de leurs salariés en matière de RSE, et surtout de donner des moyens techniques, financiers et humains aux managers pour que ces derniers deviennent un véritable relai de la politique RSE en interne.