Publié le 23 avril 2022

SOCIAL

Catherine Dauriac, Fashion Révolution : "Notre civilisation est addict à la mode, encore plus qu'au sucre"

Comment nous libérer de notre addiction à la mode qui fait tant de ravages, autant humains qu'écologiques ? Dans son dernier ouvrage*, la spécialiste Catherine Dauriac donne à voir l'ampleur des dégâts et propose des pistes d'actions pour sortir de ce système mortifère neuf ans après l'effondrement du Rana Plaza au Bangladesh. Le "pire du pire de la mode" avec SheIn, les millions de barils de pétrole utilisés, les réflexes à adopter... Entretien. 

Mode durable ronstik Istock 01
Catherine Dauriac est journaliste, présidente de Fashion Revolution France et rédactrice en chef adjointe de la revue Hummade.
Istock / Ronstik

Il y a neuf ans, le Rana Plaza s’effondrait, jetant une lumière crue sur l’industrie de la mode. Près d’une décennie plus tard, constatez-vous une progression des droits humains et environnementaux dans l’habillement ?

Le Rana Plaza est la plus grande catastrophe de l’industrie textile depuis deux siècles. Plus de 1 100 ouvrières sont mortes alors qu’elles travaillaient pour de grandes marques de mode. Cela a été un véritable électrochoc pour la communauté internationale. D’un point de vue réglementaire, la situation a évolué. On a eu l’accord Bangladesh ou encore le devoir de vigilance, qui oblige les multinationales à prévenir les risques sociaux et environnementaux sur toute leur chaîne de valeur. Plus récemment, la France a adopté la loi AGEC, interdisant la destruction de toutes les denrées non alimentaires, dont les vêtements. C’est une avancée considérable alors que les marques brûlaient jusqu’ici leurs invendus, même si la loi est limitée à la France.

Reste qu’à l’autre bout de la chaîne, les travailleurs et travailleuses sont toujours sous-payés. En Asie, les ouvrières du textile gagnent en moyenne cinq dollars pour une journée de travail de 12 heures. Leurs conditions progressent très peu et les consommateurs, eux, continuent d'acheter des vêtements à bas coût. Chaque jour, plus de 410 millions de vêtements sont produits alors qu'on a aujourd’hui produit assez de vêtements pour habiller la planète jusqu’en 2100 !

On observe pourtant une prise de conscience des consommateurs sur l’impact de l’industrie de la mode. Comment expliquez-vous cette dichotomie ?

C’est la force du marketing, de la publicité. Aujourd’hui, on ne peut plus ouvrir un réseau social sans être pris d’assaut. C’est la spécialité de SheIn, le pire du pire de la mode. Alors qu’on avait déjà des dérives avec la fast fashion, cette start-up chinoise va encore plus vite, c’est de la mode en direct. Il lui faut seulement trois jours entre le moment où le vêtement est fabriqué et l’envoi à la personne qui l’a commandé. C’est un système hyper-attractif pour les très jeunes générations qui ne se rendent pas compte de la toxicité de ce qu’ils achètent. En quelques clics, ils ont un t-shirt à deux euros et un jean à cinq qu’ils vont mettre trois fois et qui finira à la benne sans passer par les filières de recyclage. C’est désastreux.

Pour bien comprendre il faut savoir que l’on fabrique 150 milliards de vêtements par an dans le monde pour à peine 1,5 milliard d’individus dans les pays du Nord. Et ce système-là a un coût environnemental très important. Chaque jour, près d’un million de barils de pétrole sont transformés pour fabriquer des tissus synthétiques. On s’habille littéralement de pétrole.

Au-delà des collections "conscious" de H&M ou Zara, de plus en plus de marques éthiques se créent. Est-ce que c’est suffisant ?

La révolution est en marche. Notre index de transparence des marques montre que certaines font des efforts. Pour plaire aux consommateurs qui sont de plus en plus pointilleux sur la provenance des textiles ou la fabrication des vêtements, même les géants sont obligés de faire un effort s’ils veulent vendre. Alors on voit l'apparition de collections plus responsables mais il faut relativiser. Ce sont des collections capsules représentant à peine 2 % de leur production totale. Le textile est une industrie tellement puissante qu’on ne pourra pas avoir d’avancées rapides. On s’attaque à un symbole du capitalisme auquel on est accro. Notre civilisation a une addiction aux vêtements pire que celle du sucre.

Ce que je conseille, pour essayer de désintoxiquer est d’appliquer la méthode BISOU. Avant d’acheter un vêtement il faut se poser cinq questions : est-ce que j’en ai besoin, ce besoin est-il immédiat, n’ai-je pas un vêtement semblable dans mon armoire, d’où vient ce produit et est-il vraiment utile. Il faut avoir toujours en tête que l’on n’utilise seulement 30 % de notre garde-robe. On jette nos habits à la même vitesse qu’on les achète. Il faut sortir de ce système.

Propos recueillis par Marina Fabre Soundron @fabre_marina

*Catherine Dauriac, Fashion, Fake or Not, éditions Tana, paru le 14 avril. 


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