Publié le 6 août 2025

C’est un nouveau rapport accablant qui vient encore lever le voile sur les dessous du géant Shein. Lors des pics de production, celui-ci ferait appel à des centaines d’ateliers clandestins, où tous les droits seraient bafoués.

Comment Shein parvient-il à proposer jusqu’à 50 000 nouveaux articles par jour à prix cassés ? Une nouvelle enquête publiée par ActionAid France avec China Labor Watch, s’appuyant sur les témoignages d’une cinquantaine de travailleuses et travailleurs recueillis pendant deux ans sur place, révèle les dessous du système de production à la demande mis en place par le géant chinois.

Là où les enseignes traditionnelles doivent prévoir les tendances à l’avance, Shein a en effet imposé un nouveau rythme de production record de 4 à 10 jours entre la conception d’un vêtement ou d’un accessoire et sa mise en vente. L’entreprise passe d’abord de petites commandes “tests” auprès de fournisseurs, généralement en dessous de 200 articles. Ses algorithmes, dopés à l’intelligence artificielle, évaluent la demande, puis une production plus massive est lancée pour les articles populaires, quasi instantanément.

“Misère organisée”

Derrière ce modèle extrêmement bien huilé, il y a une main d’œuvre migrante qui, faute de permis de résidence en ville (le fameux “hukou”), est sous-payée et surexploitée. Son rôle ? Absorber les pics de production du système puis disparaître quand la demande retombe. Cette main d’œuvre “invisible” se concentre dans les villages urbains de la métropole de Guangzhou, l’un des principaux pôles de production de Shein, véritables labyrinthes d’immeubles exigus, surnommés “bâtiments poignée de main” tant leur proximité est extrême.

Ces centaines de petits ateliers, souvent informels, travaillent pour les sous-traitants de Shein. Ils produisent des vêtements à un rythme ininterrompu, enchaînant coupe, couture, emballage et expédition en quelques jours seulement. “Quand les usines sous contrat direct avec Shein n’arrivent plus à suivre, les commandes excédentaires sont redirigées vers les ateliers informels, hors radar, contribuant à un système opaque de sous-traitance non déclarée. Officiellement, ils ne sont pas reconnus par Shein”, détaille le rapport.

Selon l’expérience des personnes infiltrées sur place et les témoignages recueillis, la rémunération à la pièce et l’absence de protection sociale poussent les ouvrières et les ouvriers à travailler jour et nuit non-stop pour atteindre un salaire permettant de survivre et anticiper les périodes creuses. “La misère est ainsi organisée, au service d’un modèle qui privilégie la vitesse et le profit au détriment des droits humains”, concluent les auteurs. L’enquête révèle également une répartition des tâches largement genrée, mais plus grave encore, un travail non rémunéré des femmes. Certaines usines ont mis en place un mode de recrutement par couple, celui-ci étant payé comme une seule entité.

Par ailleurs, des ouvrières ont rapporté subir des violences sexistes et sexuelles dans les ateliers, en particulier des violences verbales. A cela s’ajoutent l’absence d’équipements de protection individuelle et l’exclusion des systèmes de protection sociale de base (accès ni aux soins ni à l’école publique). Dans la foulée d’enquêtes précédentes, ces recherches confirment en outre “un risque crédible” que des textiles produits pour Shein incluent des matières premières originaires du Xinjiang, province située à l’extrême ouest de la Chine, et théâtre de violations massives et systématiques de la population ouïghoure.

Coton ouïghour

Contacté par Novethic, Shein assure que “ce rapport repose sur des accusations infondées et des affirmations spéculatives”. “Shein s’engage à créer un environnement de travail sûr à tous les employés de ses fournisseurs tiers. Nous consacrons beaucoup de temps, d’investissement et d’efforts pour garantir que les travailleurs de notre chaîne d’approvisionnement soient traités équitablement et conformément aux lois et réglementations locales, ainsi qu’aux normes internationales du travail. (…) Grâce à notre business model à la demande, nous pouvons maintenir des prix abordables pour les consommateurs tout en garantissant que les travailleurs sont traités équitablement”, assure la porte-parole.

Loi anti fast-fashion au Sénat : “Si elle est votée telle qu’elle est écrite actuellement, on n’aura rien changé du tout”

Pour les associations, il faut au contraire réguler davantage l’ensemble de l’industrie. En France, une loi anti fast-fashion ambitieuse avait été votée à l’Assemblée, mais elle a été vidée de sa substance lors de son examen au Sénat. Une commission mixte paritaire doit être réunie en septembre prochain. Au niveau européen, la directive sur le devoir de vigilance, qui oblige les multinationales à respecter les droits humains sur l’ensemble de leur chaine de valeur est également en train d’être détricotée.

Depuis plusieurs mois, Shein est la cible de plusieurs procédures lancées par des associations françaises et européennes. Alors qu’elle se targue d’être durable, elle vient d’écoper d’une amende d’un million d’euros pour avoir diffusé des allégations environnementales trompeuses sur son site internet. L’autorité italienne de la concurrence pointe ainsi l’engagement de Shein de réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 25% d’ici 2030 alors qu’elles étaient en hausse de 23% entre 2023 et 2024. Selon l’ONG canadienne Stand.earth, si la marque était un pays, “elle serait le 100ème plus gros émetteur de CO² au monde”.

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