Publié le 26 septembre 2023
SOCIAL
Inégalités : les salariées pourront désormais accéder aux bulletins de leurs homologues masculins
Libérer les salaires de la confidentialité. Voilà l’objectif d’une décision récemment rendue par la Cour de cassation, permettant aux salariées de demander la consultation des fiches de paie de leur collègues masculins à poste équivalent. Un nouveau levier dans la lutte pour l’égalité salariale.

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Les inégalités persistent au sein des entreprises françaises. En 2021, le salaire moyen des femmes était 15% inférieur à celui des hommes, à temps de travail équivalent selon l’Insee. Si l’écart s’est réduit de plus de 6 points en 25 ans, les salariées continuent de voir aujourd’hui leurs homologues masculins bénéficier de meilleures rémunérations. En témoigne une récente enquête de l’institut ADP Research auprès de 2 000 employés français. D’après les conclusions de cette étude, 75% des hommes auraient perçu une augmentation en 2022, contre seulement 59% des femmes.
La situation pourrait toutefois évoluer suite à une décision de justice rendue au mois de mars 2023. Une salariée accusant son ancien employeur de discrimination salariale a en effet obtenu par un arrêt de la Cour de cassation la possibilité de consulter les fiches de paie de ses collègues masculins. La juridiction a ainsi estimé que "la communication de ces bulletins de paie était indispensable à l’exercice du droit à la preuve et proportionnée au but poursuivi, à savoir la défense de l’intérêt légitime de la salariée à l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d’emploi et de travail."
Vers plus de transparence
En conséquent, cette jurisprudence permet à une ou un employé qui le demande de s’assurer, et potentiellement de prouver, si elle pâtit ou non d’inégalités salariales face à des collaborateurs exerçant des postes à des niveaux comparables au sien. "Dans l’absolu, l’employeur ne peut pas refuser, insiste auprès de Novethic Marie Donzel, autrice* et directrice associée du cabinet AlterNego, mais il est possible qu’il cherche à gagner du temps ou à justifier l’écart constaté." Il devra en outre respecter la confidentialité des données personnelles, qui peuvent être anonymisées. En cas de refus, la ou le salarié est en droit d’engager des démarches juridiques. Une avancée qui encourage les entreprises à davantage de transparence.
"Libérer les salaires de la confidentialité a un véritable effet de retour au réel dans un contexte où, depuis une quinzaine d’années, on explique aux femmes qu’elles ne savent pas négocier", souligne Marie Donzel. La jurisprudence devrait par ailleurs être renforcée par une directive adoptée en avril dernier par l’Union européenne. Cette dernière stipule que les sociétés de plus de cinquante salariés auront l’obligation de publier les informations portant sur la rémunération de leurs employés, femmes et hommes, à poste égal. Dans le cas où il est constaté un "écart salarial de plus de 5% qui ne peut être justifié par des critères objectifs et non-sexistes", des sanctions pourront être appliquées rapporte FranceInfo.
Une politique aux "effets limités"
La directive qui devrait permettre d’alléger la charge de la responsabilité pesant aujourd’hui du côté des salariées, sera-t-elle pour autant suffisante ? "Nous n’atteindrons pas l’égalité salariale tant que le gouvernement ne s’engagera pas davantage", observe dans une publication LinkedIn Rebecca Amsellem, économiste et essayiste féministe. Un rapport de la Cour des comptes datant du 14 septembre 2023 regrette en effet le retard pris par l’exécutif sur le sujet. Les sages de la rue Cambon estiment que les mesures prises par le gouvernement n’ont eu que des "effets limités".
Ils soulignent notamment leur complexité et leur délais de mise en œuvre, à l’instar de l’index d’égalité professionnelle, et épinglent "l’absence de politique globale et coordonnée". Pour changer la donne, Rebecca Amsellem avance plusieurs pistes dans une tribune au Monde. Elle évoque ainsi l’éga-conditionnalité, qui détermine l’obtention de marchés publics et de subventions à l’égalité salariale, mais aussi la revalorisation des salaires dans les secteurs majoritairement féminisés, comme l’éducation ou le soin. Dernier levier mentionné, la mise en place d’un congé parental équivalent pour les parents, qui permettrait "de changer les mentalités sur l’embauche des jeunes femmes actives et sur leurs promotions", conclut l’experte.
* Au delà des clichés : analyser, agir et prévenir les harcèlements en entreprise, Marie Donzel et Charlotte Ringrave, septembre 2023, éditions Mardaga.