Publié le 23 février 2021

SOCIAL

"La fabrique de l'ignorance" sur Arte : Quand les industriels instrumentalisent la science contre l'environnement

Freiner le progrès de la connaissance en utilisant la science contre elle-même : c’est la stratégie utilisée par certains industriels pour faire naître un doute sur la toxicité de leurs produits, ou remettre en question le réchauffement climatique. Un mécanisme décortiqué dans le documentaire La fabrique de l’ignorance, diffusé ce soir sur Arte, et disponible jusqu’au 23 avril sur le site internet.

La fabrique de l'ignorance miniature Arte
Le documentaire est également disponible sur le site internet d'Arte jusqu'au 23 avril.
Arte

Pourquoi a-t-il fallu près de 50 ans pour admettre la toxicité du tabac ? Comment se fait-il que certains questionnent encore l’origine humaine du réchauffement climatique ?  "Il n’y a pas de consensus " entend-t-on parfois dans les médias, et sous la plume même de scientifiques. Mais de quel consensus parle-t-on ? En revêtant les habits de juge et d’arbitre "la science est devenue une activité à influencer, à miner ou à corrompre"  pose d'emblée le documentaire "La fabrique de l'ignorance", réalisé par Pascal Vasselin et Franck Cuveillier. Diffusé ce soir sur Arte, il est également disponible sur le site internet de la chaîne jusqu'au 23 avril. Par le biais de témoignages de scientifiques, de professions de foi et de mea culpa, l'enquête dévoile et décortique les techniques innovantes et encore méconnues mises en œuvre par les industriels pour semer le doute sur la dangerosité de leurs produits.

Un mécanisme initié par l'industrie du tabac 

La stratégie fleurit dans les années 50, aux États-Unis. L’industrie du tabac entre alors en crise : la recherche scientifique révèle que la cigarette provoque des cancers du poumon et accidents cardiovasculaires. Impossible pour le secteur de contester les résultats. Mais les géants du tabac n'entendent pas se laisser faire et font le pari de financer leurs propres laboratoires. "L’utilisation de la science contre la science est un véritable tournant, un renversement ", souligne dans le documentaire Naomi Oreskes, professeure d'histoire des sciences à l'Université de San Diego, en Californie.

L’objectif est de produire des études scientifiques alternatives qui attribuent aux cancers du poumon d'autres origines, comme la génétique ou la pollution de l'air. Le tabac devient une cause de cancer comme une autre. Semer le doute dans l'opinion publique permet alors de "gagner du temps" soulignent à l'unisson les scientifiques interrogés. Une stratégie efficace, puisque l'industrie du tabac ne sera condamnée que 40 ans plus tard.

La mécanique a depuis largement été reprise et déclinée. Bisphénol A, réchauffement climatique, néonicotinoïdes... l’enquête revient sur ces grandes controverses fabriquées par l'industrie qui animent le débat public depuis des décennies. Et retardent les prises de décisions politiques.

Un phénomène amplifié par les réseaux sociaux 

La diffusion de cette science alternative a été démultipliée avec le développement des réseaux sociaux. "Pour la communauté scientifique quasi unanime, le réchauffement climatique est sans équivoque et l'influence de l'homme est claire", constatent les auteurs. "Mais pour autant le consensus ne s'impose pas sur les réseaux". Pour une raison simple : "Les climatosceptiques sont à la fois moins nombreux et plus actifs. Ils contrebalancent le débat", décrypte l'Institut des systèmes complexes de Paris. Cela suffit à alimenter une controverse... là où il n'y en a pas. 

La volonté de détourner la science n'est pas nouvelle, souligne cependant le documentaire. Ce n'est ni Galilée, ni Copernic, censurés et condamnés, qui affirmeraient le contraire. "Il y a 300 ans les progrès scientifiques se heurtaient à l'église", détaille Linsey Mc Goey, professeure de sociologie à l'Université d'Essex. "Mais aujourd’hui c’est le marché qui prend le rôle de l’église, c’est l’économie qu’il est devenu difficile de contester". Une chose est sûre, conclut l'enquête : cancers, victimes du réchauffement climatiques, montée des eaux… "Quelques soient les croyances, la réalité finit par s’imposer". 

 Pauline Fricot, @PaulineFricot


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