Publié le 03 décembre 2015

SOCIAL
COP21 : La transition énergétique sera juste ou ne sera pas
Il n'y a pas d'emplois sur une planète morte. C'est le slogan de la Confédération syndicale internationale. Pour cela elle milite pour l'inscription d'une "transition juste" dans l'accord actuellement négocié à la COP21 au-delà d'une simple mention dans le préambule. Ce qui ne semble pas encore gagné. Mais déjà, sur le terrain, des syndicats essayent à travers le monde de rendre concrète cette notion, en réfléchissant à ce qu'implique l'économie bas-carbone pour les travailleurs.

IWW
Fin septembre, Heilongjiang Longmay, le premier groupe charbonnier - étatique - du nord-est de la Chine annonçait le licenciement de 100 000 personnes. Près de la moitié des ses employés. En cause, la dégringolade du cours du charbon et des coûts salariaux de plus en plus élevés. Sans gains de productivité.
Une casse sociale impressionnante qui en appellera d'autres, en Chine et ailleurs, tant le charbon fait aujourd'hui figure d'énergie du passé, comme le démontre la dynamique du désinvestissement dans les énergies fossiles. Et ce ne sera pas non plus le seul secteur concerné. "Au total 30 % des emplois, dans les secteurs les plus pollueurs, sont menacés", prévient Raymond Torres, directeur de l'Institut International d'études sociales du Bureau International du Travail.
La place centrale des syndicats
Le constat fait évidemment peur, particulièrement chez les travailleurs qui sont en première ligne. "Mais il y a des moyens d'agir, précise aussitôt Raymond Torres. J'en cite 5 : la mobilité de l'emploi, les politiques de protection sociale, la formation -via notamment le dialogue social-, la mise en place de systèmes d'alerte rapides pour assurer une flexibilité par rapport aux besoins en formation et la réinsertion du secteur informel".
A ce titre la place des syndicats est absolument centrale. Et pourtant, au parc des expositions du Bourget, où se tiennent les négociations internationales sur le climat (COP21), ceux-ci ne se sentent pas suffisamment écoutés: "Je regarde qui sponsorise la COP et la place que l'on accorde à certaines entreprises, comme Engie pour ne pas la citer, et la difficulté que l'on a à inscrire dans l'accord le concept de transition juste, qui veut seulement dire que si la transition est indispensable, elle ne se fera pas sans les travailleurs...", dénonce ainsi Jean-François Tamellini, secrétaire général de la FGTB, un syndicat belge.
A côté de lui, Bert de Wel, également syndicaliste belge mais de l'ACV confirme : "Quand Tessenderlo, une grosse entreprise belge du secteur de la chimie a voulu prendre le virage de la durabilité, les salariés n'ont pas été impliqués. Comme cela correspondait à une période où s'ouvrait un plan de licenciement, ils ont fait un lien entre les deux et n'ont pas compris le message. Le président a été limogé et le plan de développement durable qu'il voulait mettre en place n'a pas abouti".
Un new deal vert
Et pourtant, la transition écologique, ils y croient, assurent les syndicalistes présent à la COP21. "La transition est absolument essentielle mais on a besoin d'avoir une vision, pour savoir où l'on va et comment on y va. Pour cela les syndicats ont un énorme rôle à jouer. Ce sont des acteurs de terrain, qui savent mobiliser", avance Chris Baugh, secrétaire général adjoint du syndicat britannique PCS. Son organisation fait d'ailleurs partie des membres de la campagne "1 million d'emplois climatiques" qui prône la transition énergétique en Grande-Bretagne comme remède à la crise économique actuelle. Des emplois dans les énergies renouvelables, la rénovation thermique des bâtiments ou des transports verts, soutenus par le gouvernement, décemment payés et qui pourraient conduire à la création indirecte de près de 500 000 autres emplois.
Pour opérer cette transition entre emplois menacés et nouveaux métiers, il faut "un new deal vert qui confère une protection et un avenir à ces travailleurs, assure Chris Baugh. Il est fondamental que les salariés des industries intensives en énergie comprennent que la transition énergétique n'est pas une menace car sinon les climato-secptiques se serviront de cet argument pour remettre en cause le mouvement en cours", souligne-t-il.
Proposer des alternatives
En Belgique, le syndicat de Jean-François Tamellini essaye de tout faire pour éviter ce piège. "Nous avons fait une étude pour le secteur du métal, qui est en déclin dans le pays. Notre conclusion est claire: relever les défis climatiques et environnementaux comme la finitude des ressources, c'est une question de survie. La solution : le virage vers l'économie circulaire qui permet d'optimiser l'énergie et la matière, tout en produisant de l'innovation. C'est faisable et c'est nécessaire. Dans 5 ans, 5 métaux seront déjà en pénurie!"
Au Ghana aussi, il faut sensibiliser et changer les façons de produire. "Le réchauffement climatique fait partie de notre agenda. Nous travaillons par exemple sur le lien entre changement climatique et sécurité alimentaire et la sécurité des revenus et sur des secteurs précis comme la banane. Comme d'autres pays africains, le Ghana connait aujourd'hui de graves sécheresses. Les agriculteurs se sentent donc concernés", explique Kingsley Ofei Nkansah, le secrétaire général du syndicat agricole ghanéen.
Cette prise de conscience syndicale a même entraîné ces dernières années la création d'alliances inédites entre syndicats et ONG environnementales. "L'un des exemples les plus parlants en Angleterre, c'est notre alliance contre la fracturation hydraulique, souligne Chris Baugh. Sur la côte par exemple, nous avons fait une étude pour montrer qu'au lieu d'investir dans le gaz de schiste, il valait mieux s'orienter vers l'énergie éolienne ou les technologies de marée motrice. Cela prouve que nous ne sommes pas juste en opposition mais que nous avons des alternatives à proposer".
L'investissement, une nouvelle forme de militantisme syndical
Un mouvement qui va au-delà des alliances locales. "Nous travaillons de plus en plus avec les syndicats sur la question climatique car le changement est d'abord un changement social. Nous avons besoin d'employés engagés et nous avons aussi besoin d'accompagner les travailleurs dont les emplois sont menacés. Nous devons nous assurer que cette transition sera bonne pour les hommes et la planète", confirme ainsi Samantha Smith. Pour cette responsable de la "Global Climate & Energy Initiative" au WWF International, cela passe aussi par le portefeuille des salariés.
Via les fonds de pension qui assurent leur retraite, les salariés ont aussi un pouvoir et un mandat à adresser à leurs gestionnaires de fonds : celui de financer leur avenir en fléchant leurs investissements dans la transition énergétique. C'est notamment ce qu'a décidé APB, la caisse de retraite des fonctionnaires et des salariés de l'éducation des Pays Bas et l'un des plus grands fonds de pension au monde. En 2020, celui-ci aura réduit de 25 % l'empreinte carbone de ses portefeuilles, multiplié par 2 ses investissements dans les projets à impact social et environnemental positif (59 milliards d'euros) et investi davantage dans les énergies renouvelables (5 milliards d'euros). Tout en encourageant les entreprises à travailler davantage sur ces questions (à travers l'engagement actionnarial).
"Il est très important que ces fonds soient actifs, souligne Samantha Smith. D'autant que paradoxalement les fonds de travailleurs ont beaucoup investis dans les énergies fossiles dont les actifs se déprécient. Maintenant, s'ils décident de désinvestir celles-ci de leurs portefeuilles, il faut qu'ils investissent en parallèle dans les énergies renouvelables", prévient-elle. Pour leur avenir. C'est notamment l'avis de Ton Heertz, le président du Comité sur le capital des travailleurs du groupement Global Unions (CWC), un réseau syndical international consacré au dialogue et à l’action en matière d’investissement responsable du capital des travailleurs. Pour lui, "agir en utilisant des principes financiers, c'est tout simplement un nouveau style de militantisme syndical".