Publié le 07 décembre 2020

POLITIQUE

Convention citoyenne pour le climat : Emmanuel Macron hausse le ton contre "le monstre démocratique" qu’il a lui-même créé

La guerre est déclarée entre Emmanuel Macron et une partie de la Convention Citoyenne sur le Climat dont Cyril Dion s’est fait porte-parole. Alors que le premier estime qu’aucun gouvernement n’est jamais allé aussi loin en matière d’écologie, le deuxième juge que le Président renonce aux promesses qui ont été faites aux citoyens tirés au sort pour cet exercice inédit. Ces-derniers, à qui le Président a lui-même donné un grand pouvoir, lui demandent désormais de rendre des comptes.

Emmanuel macron convention citoyenne pour le climat CHRISTIAN HARTMANN POOL AFP
Emmanuel Macron recevant à l'Élysée les 150 membres de la Convention citoyenne sur le climat.
@ChritianHartmann/AFP

Que le ton a changé entre Emmanuel Macron et la Convention Citoyenne pour le Climat ! En janvier 2020, le Président assurait aux 150 personnes de cette assemblée inédite que leurs propositions seraient présentées "sans filtre" au Parlement, par référendum ou par application réglementaire. Mais vendredi 4 décembre dernier, le ton était bien différent. Interrogé par Brut, il lui a été reproché de renoncer aux engagements pris en ce sens. Son sang n’a fait qu’un tour : "On est en train de travailler d’arrache-pied pour aller au bout ! (...) J'ai 150 citoyens, je les respecte, comme des parlementaires. Mais je ne vais pas dire, parce que ces 150 citoyens ont écrit un truc : 'C'est la Bible !', ou le Coran, ou que sais-je !".

Il ajoute : "Je suis vraiment très en colère contre des activistes qui m’ont aidé au début et qui disent maintenant qu'il faudrait tout prendre (les 146 propositions de la CCC, ndr)". C’est une réponse directe à Cyril Dion, le réalisateur et militant écologiste. Celui-ci avait été nommé garant de la Convention et il est désormais en conflit avec l’exécutif. Il a lancé une pétition pour "sauver la convention citoyenne pour le climat". Puis, dans une tribune publiée dans Le Monde le 5 décembre, s’adressant au Président, il écrit : "il me semble que c’est vous qui ne respectez pas la parole que vous avez donnée. (…) Tenir parole, pour un président de la République, c’est le socle de nos démocraties".

Résultat, alors que l’exécutif doit rencontrer ces 7 et 8 décembre les membres de la CCC, désormais montée en association, une partie d’entre eux refusent ce rendez-vous car fixé à la dernière minute. L’objet de la rencontre est de préparer la future loi climat inspirée de leur travail. Celle-ci doit être soumise au Parlement à partir de mars prochain, en vue d’une adoption avant l’été.

Un monstre démocratique

Au final, le Président de la République s’est mis lui-même dans une impasse. Il affronte "le monstre démocratique" qu’il a créé. Lors du lancement de cette convention citoyenne, rien ne l’obligeait à annoncer qu’il allait accepter tout ce qui allait en sortir. Ni que toutes les propositions seraient soumises "sans filtre". Le Président s’est rendu comptable devant la CCC et l’opinion publique des suites de cette initiative. Désormais, s’il renonce à soumettre quelques propositions, quand bien même il en appliquera l’immense majorité, cela sera vu comme un renoncement.

Sans compter que si la CCC est mécontente aujourd’hui, ce n’est pas la seule. Un tel modèle de "démocratie directe" remet en cause le rôle du Parlement et des juridictions spécialisées comme le Conseil économique, social et environnemental (Cese). Ceux-ci, bien que recevant positivement les propositions de la CCC, grincent des dents sur le rôle qui leur reste à jouer, notamment en matière d’amendements.

Une seule victime de cette guerre

Au final, c’est la ministre de la Transition écologique, Barbara Pompili, qui est envoyée au front dans le rôle de négociatrice. Près de 40 % des propositions de la Convention citoyenne sur le climat (CCC) figureront dans le projet de loi climat, a-t-elle assuré sur France Info. La ministre a expliqué que la "traduction directe dans la loi" n'a pu être possible car de nombreuses propositions "ont dû être améliorées juridiquement". Des secteurs "disent ‘Mon Dieu, il faut surtout ne rien bouger’ mais notre rôle, c'est de rassurer tout le monde (...) et montrer qu'on ne laisse personne sur le bord du chemin et cette réforme, on va la faire", ajoute-t-elle.

De toute cette aventure démocratique ressortiront de bonnes choses. D’ores et déjà, 50 des propositions ont été adoptées ou partiellement adoptées et la loi climat à venir sera certainement très ambitieuse. La seule victime de l’histoire sera sûrement le modèle même de la Convention citoyenne. Gageons qu’à l’avenir aucun Président ne prendra le risque de lier sa politique aux décisions d’un groupe de citoyens dont le pouvoir est en théorie nul, mais qui en pratique dispose d’un pouvoir d’influence immense.

Ludovic Dupin @LudovicDupin


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