Publié le 28 novembre 2019
GOUVERNANCE D'ENTREPRISE
Black Friday : un vendredi noir pour la réputation d’Amazon
À l’occasion du Black Friday et des fêtes de fin d’années, Amazon fait l’objet de plusieurs rapports destinés à montrer la face cachée du géant du e-commerce, qui symbolise les dérives de ces méga promotions et de l’hyperconsommation. ONG, syndicats et hommes politiques dénoncent son impact environnemental, social et fiscal. Des arguments qui commencent à faire vaciller la réputation du géant. Et celle de son PDG, Jeff Bezos.

@BH
Des promos, jusqu’à -70%, pendant une semaine ! Voilà ce que propose Amazon pour le Black Friday, ces méga promotions venues des États-Unis. Un vendredi noir pour beaucoup qui y voient le symbole de l’hyperconsommation. Symbole de cette dérive, Amazon a fait l'objet de deux rapports accablants publiés ces derniers jours (1).
Le premier d’Attac, des Amis de la Terre et de Solidaire (1) dénonce l’impact environnemental, social et fiscal de l'entreprise. Pour eux, "le monde selon Amazon n’est pas viable". D’après leurs calculs, Amazon Web Services a émis 55,8 millions de tonnes de gaz à effet de serre en 2018, soit l’équivalent des émissions du Portugal. De plus, la même année, trois millions de produits neufs ont été détruits par Amazon en France.
De plus, selon les auteurs, l'entreprise dissimulerait 57 % de son chiffre d’affaires réalisé en France. Il s’agit d’une "évasion fiscale massive", estime Attac. Cela a "des impacts négatifs sur les recettes fiscales des États où Amazon est présent" et "renforce sa position prédominante vis-à-vis de ses concurrents, plus petits, qui paient en proportion de leur activité davantage d’impôts".
Le second rapport vient de l’ex-secrétaire d’État au Numérique et désormais député de Paris LREM, Mounir Mahjoubi. Il porte sur les emplois détruits dans les commerces de proximité. Selon lui, Amazon précarise et détruit l’emploi. "Pour une création d'emploi" chez Amazon en France, il y a "2,2 emplois perdus dans les commerces traditionnels". Un ratio que l’on retrouve aussi aux États-Unis (2). Mais ces chiffres sont contestés par Amazon qui vante la création de nombreux CDI et ses emplois indirects, notamment dans les PME de sa marketplace.
Tableau des emplois créés et détruits issus de la note de Mounir Mahjoubi
Une réputation très écornée
Depuis plusieurs années, ce type d’enquêtes se multiplient sur les coulisses et les pratiques d’Amazon. Elles commencent à peser sérieusement sur la réputation du vendeur en ligne. Reputation Institute mesure chaque année la perception des marques par le public. Il y intègre notamment des critères de responsabilité sociétale (sur l'environnement et le social). Selon ce classement, au niveau mondial, Amazon est passé de la 18ème place en 2017 à la 56ème place en 2019. Aux États-Unis, la dégringolade est encore plus vertigineuse : longtemps première, l’entreprise n’est désormais plus intégrée au Top 50.
En France, où les résultats 2019 doivent prochainement être dévoilés, la partie sur la RSE (Responsabilité sociétale des entreprises) d'Amazon est considérée comme "vulnérable", car les Français sont très sensibles à cette dimension. "Cela fait clairement baisser la note globale d’Amazon qui est passée de très bonne à moyenne en trois ans. Et ce, alors que dans les autres dimensions comme la qualité du service, elle obtient des scores excellents", confirme Olivier Forlini, directeur de la branche française du Reputation Institute.
Bientôt un impact sur les ventes ?
Amazon tente d'inverser la tendance avec plusieurs annonces : neutralité carbone en 2040 , dons d’invendus ou hausse du salaire minimum (aux États-Unis). Mais il en faudra plus pour redresser la barre. Selon Olivier Forlini, les dommages sont tels qu’il faudra même compter "des années". Cette mauvaise image rejaillit sur le patron de la société. Depuis que le classement HBR (Harvard Business Review) des 100 meilleurs PDG mondiaux a intégré des critères RSE, Jeff Bezos - autrefois N°1- n’a cessé de reculer. Jusqu’à son éviction pure et simple dans l’édition publiée fin octobre 2019.
Selon Bloomberg, Amazon se situe en bas de tableau en matière ESG, notamment par rapport à Microsoft
Pour l’instant, les ventes ne sont pas affectées. Mais cela pourrait changer. "On observe une forte corrélation entre le score de réputation et l’intention d’achat des consommateurs et cela n’épargne pas Amazon qui est délaissé par un nombre grandissant d’acheteurs, même si cela reste une minorité", souligne Olivier Forlini. Dans certains territoires, ce sont les maires ou des élus qui refusent de voir le géant du e-commerce s'implanter, par risque des répercussions sur l'emploi local. C'est le cas à Mondeville dans le Calvados mais aussi à New York, aux Etats-Unis, où la fronde des élus locaux démocrates a eu raison de l'implantation d'un nouveau siège d'Amazon.
Dans la foulée de leur rapport, les ONG et syndicats ont eux lancé une pétition "Stop Amazon et son monde" signée vendredi par plus de 18 000 personnes et ont lancé plusieurs actions, dont le blocage de l'entrepôt de Brétigny-Sur-Orge en région parisienne, dès jeudi, duquel ils ont été rapidement délogés, avant de tenter d'autres actions vendredi.
"Par nos choix de consommation, par nos clics, militons pour qu'Amazon devienne plus humaine", demande aussi le député LREM de Paris, en aiguillant les lecteurs vers les entreprises locales qui "pratiquent du e-commerce responsable, maîtrisent leur impact social et environnemental, ou produisent en circuit court". Parmi les pistes étudiées par les participants de la convention citoyenne on trouve aussi "une taxe kilométrique, qui pourrait peser sur le e-commerce et notamment Amazon", précise aussi Mathilde Imer, membre du comité de gouvernance de la Convention.
Béatrice Héraud @beatriceheraud
(1) La note de Mounir Mahjoubi sur les emplois détruits et celui des Amis de la Terre.
(2) étude de 2016 réalisé par l’Institute for Local Self-reliance.