Publié le 16 septembre 2023
ENVIRONNEMENT
Décès de six vendangeurs pendant la canicule : "le code du travail doit s'adapter au changement climatique"
Des vendanges au goût amer. Entre le 5 et le 8 septembre, six décès d'ouvriers agricoles ont été constatés dans les vignobles de Champagne et du Rhône. Tous sont morts de malaises cardiaques alors que le pays subissait une canicule tardive inédite. De quoi remettre sur la table la question de l'adaptation des conditions de travail au changement climatique.

@CC0
Un jeune saisonnier Rémois de 19 ans est mort dans un vignoble de Champagne alors qu'il faisait entre 32 et 34 degrés vendredi 8 septembre. Quelques jours auparavant, trois autres décès de vendangeurs avaient été recensés dans la Marne, frappée par des chaleurs exceptionnelles pour un mois de septembre, en raison de la canicule tardive qui s’est abattue sur le pays. La même semaine, deux autres décès ont également été constatés dans des vignes du Rhône. Ces six décès quasi concomitants sont tous dus à des malaises cardiaques, survenus lors de fortes chaleurs. Des enquêtes ont été ouvertes pour déterminer leurs circonstances exactes.
"C’est une véritable hécatombe", réagit auprès de Novethic Anthony Smith, responsable syndical au sein du ministère du Travail. "Il faut en prendre la mesure." Son syndicat, la CGT, a adressé une lettre ouverte à Olivier Dussopt, le ministre du Travail, pour l’instant resté muet. Le syndicat demande que le code du travail s’adapte au changement climatique. "On a besoin d’une réglementation qui protège les ouvriers agricoles, mais aussi ceux du BTP, les caissières exposées aux fortes chaleurs derrière une vitre de magasin, les professeurs dans les salles de classe…", liste le syndicaliste qui dit recevoir de nombreux témoignages.
"La chaleur peut tuer au travail"
Pour l’instant, le code du travail ne prévoit rien de précis en cas de canicule, l’employeur devant simplement prendre "les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs". Le salarié peut exercer son droit de retrait en cas de "danger grave et imminent" mais il se sent rarement libre de le faire. C’est d’autant plus vrai pour les saisonniers, qui sont embauchés à la mission, et qui sont souvent des travailleurs précaires. Une dérogation permet en outre de les faire travailler jusqu'à 60 heures par semaine.
Dans le cas du jeune homme de 19 ans, décédé dans un vignoble champenois, son employeur assure avoir vu plus tôt dans la journée qu'il "ne se sentait pas trop bien". Elle explique, sous le couvert de l'anonymat, au micro de France Bleu, lui avoir alors dit de s'arrêter. Mais ce dernier aurait refusé. "Il sera peut-être avéré que le soleil y est pour quelque chose", a également réagi auprès de l’AFP Maxime Toubart, président du syndicat général des vignerons de Champagne. Mais "avec 120 000 personnes qui affluent en quinze jours", "forcément il se passe des choses", a-t-il dit, évoquant "un à deux morts par arrêt cardiaque ou rupture d’anévrisme chaque année".
"De plus en plus de gens arrivent et ne sont pas en condition physique pour faire un travail extérieur : des jeunes qui ne déjeunent pas le matin, qui ne se désaltèrent pas, qui sont sous médicament, qui travaillent torse nu", ajoute-t-il. Un discours fustigé par Anthony Smith. "Ce sont toujours les mêmes poncifs qui sont utilisés. Cela montre bien que les employeurs ne mesurent pas l'ampleur des impacts du changement climatique sur l’organisation du travail. Face à leur immobilisme, c’est au législateur de prendre le relais. C’est vital : la chaleur peut tuer au travail", insiste le responsable syndical.
Une soixantaine de morts au travail dues à la chaleur
Une proposition de loi déposée par des députés LFI en juillet vise à interdire certaines activités en cas d’activation du niveau 4 de vigilance météorologique, de limiter le temps de travail à six heures par jour en cas d’activation du niveau 3 de vigilance météorologique ou encore de prévoir des temps de pause réguliers sans perte de salaire lorsque la température dépasse un certain seuil.
Le texte propose aussi que les inspecteurs du travail puissent procéder à des arrêts temporaires de travaux en cas de conditions atmosphériques présentant des risques pour la santé et la sécurité des travailleurs. Mais encore faut-il pouvoir l’appliquer. "La France ne compte plus que 1 700 inspecteurs du travail pour 20 millions de salariés et 2 millions d’entreprises", rappelle Anthony Smith.
D’après les rapports de Santé Publique France, entre 2017 et 2022, 54 travailleurs seraient morts au travail des suites de l’exposition à de fortes températures. Cet été, l’organisme en a compté deux lors de la première canicule début juillet. Santé Publique France précise que ce décompte est partiel, puisqu’il ne prend en compte que les personnes décédées sur leur lieu de travail. Ce qui est certain, c’est que le changement climatique va exacerber les risques de décès et que les "mesures de bon sens" auxquelles appelait Olivier Dussopt en présentant son plan canicule en juin ne suffiront pas.