Publié le 28 septembre 2023

ÉNERGIE

Lufthansa estime qu’il devra consommer la moitié de l’électricité allemande pour voler vert

Le mythe de l'avion vert est une nouvelle fois mis à mal. Le patron de la Lufthansa, le premier transporteur européen, reconnaît lui-même que la conversion de sa flotte aux carburants de synthèse va nécessiter l'équivalent de la moitié de l'électricité produite en Allemagne. De quoi mettre en avant les limites de la décarbonation du secteur.

Lufthansa CC0
La conversion de la flotte de Lufthansa aux carburants de synthèse va nécessiter environ la moitié de l'électricité allemande.
@CC0

La grande désillusion (ou pas). Lors d’une conférence nationale sur l’aviation à Hambourg, lundi 25 septembre, Carsten Spohr, le patron de Lufthansa, premier transporteur européen, a estimé que la compagnie "aurait besoin d'environ la moitié de l'électricité allemande pour convertir en carburant synthétique toute sa flotte actuelle". De quoi mettre à mal le mythe de l’avion vert, sur lequel se repose le secteur pour atteindre la neutralité carbone.

Les carburants de synthèse, également appelés e-fuels, combinent de l'hydrogène et du CO2 capté dans l'air ou dans les fumées industrielles. Pour être considéré comme verts, ils doivent être produits à partir de sources décarbonées comme les énergies renouvelables. Ces carburants de synthèse font partie de la famille des carburants aériens durables (ou "sustainable aviation fuels", SAF en anglais), aux côtés des biocarburants, les seuls utilisés aujourd’hui, et de l’hydrogène vert encore au stade de prototype.

"Acheter ce carburant à l'étranger"

Et cette quantité astronomique d’électrique, l'agence fédérale des réseaux et le ministre fédéral de Économie Robert Habeck (Verts) "ne me la donneront pas", reconnaît, lucide, Carsten Spohr, qui ne baisse pas pour autant les bras. Selon lui, la solution "réaliste" passe par l'achat de ce combustible synthétique "à l'étranger, là où l'énergie éolienne ou solaire est disponible en quantités pratiquement illimitées", a-t-il ajouté, sans citer de pays précis. Ce chemin sera "long, mais c'est le bon", s'est dit convaincu Carsten Spohr.

"Le constat qu'il dresse est correct, la conclusion qu'il en tire ne l'est pas", commente sur Linkedin l’ingénieur Maxence Cordiez. Selon ce spécialiste de l’énergie, "la priorité est de décarboner l'électricité pour ses usages actuels, avant de la convertir en carburants de synthèse". Il souligne également que la plupart des pays qui se positionnent sur la production d'hydrogène pour l'exportation sont "des pays dont le bouquet électrique a une intensité carbone très élevée et/ou où l'ensemble de la population n'a pas accès à l'électricité et/ou où il y a des contraintes d'accès à l'eau (nécessaire pour produire de l'hydrogène)". 

Il semble de fait assez peu réaliste que ces pays parviennent à répondre à cette triple exigence : décarboner leur électricité, offrir l'accès à l'électricité pour tous, et produire assez d'électricité pour produire des carburants de synthèse destinés à l'exportation, dans un délai relativement court. "Finalement, la conclusion - difficilement acceptable - que le PDG de la Lufthansa aurait dû tirer est que la décarbonation du trafic aérien passera aussi et surtout par une forte réduction d'usage", conclut Maxence Cordiez.

Une obligation de SAF dans l'UE

Mais cette question de la réduction du trafic reste taboue. Pour arriver à zéro émission nette d’ici 2050, le principal levier envisagé est la compensation, au travers du mécanisme Corsia. Ce système, adopté en 2016, doit permettre au secteur de compenser la hausse de ses émissions afin de les maintenir à leur niveau moyen de 2019-2020, sur une base volontaire à partir de 2024 puis obligatoire à partir de 2027. Seulement, le système a une nouvelle fois été revu à la baisse lors de la réunion de l’Oaci. Si bien que selon les calculs de Transport & Environment (T&E), seulement 22% des émissions internationales totales seraient compensées d'ici 2030.

L’autre levier repose sur les carburants aériens durables, dont on voit les limites (auxquelles il faut ajouter une envolée des coûts). L’Union européenne va ainsi imposer à partir de 2025 d'incorporer en moyenne 2% de SAF dans le kérosène des vols en Europe et au départ de l'Europe. En 2030, ce pourcentage passera à 6 %, puis progressivement à 20 % en 2035, 34 % en 2040, 42 % en 2045, pour monter à 70 % d'ici à 2050, date à laquelle le transport aérien s'est engagé à attendre la neutralité carbone.

Ce volume de SAF sera essentiellement composé de biocarburants. Mais à partir de 2030, il devra aussi comprendre une partie de carburants synthétiques. Elle sera de 1,2% en 2030, puis 5% en 2035, et 35% en 2050. Si cette trajectoire est respectée, ces carburants synthétiques représenteront alors la moitié des carburants durables en Europe. Reste à produire assez d’électricité décarbonée pour que nos avions volent vraiment vert…

Concepcion Alvarez


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