Publié le 12 octobre 2022

ENVIRONNEMENT

Pourquoi l'objectif de neutralité carbone de l'aviation internationale n'est pas une si bonne nouvelle

Alors que le transport aérien est pointé du doigt pour son rôle dans la crise climatique car il est responsable de 2,5 à 3% des émissions mondiales de CO2, l'Organisation de l'aviation civile internationale, qui regroupe plus de 180 pays, s'est fixé un objectif de neutralité carbone d'ici 2050. Une bonne nouvelle en demi-teinte.

Aviation neutralite carbone 2050 pixabay Tobias Rehbein
L’Organisation de l'aviation civile internationale (Oaci), réunie en assemblée générale, s'est fixée un objectif de neutralité carbone en 2050.
@pixabay / Tobias Rehbein

L’aviation internationale s’est accordé sur un objectif de neutralité carbone d’ici 2050, s’alignant "en théorie" sur l’Accord de Paris. Le vote, qui était loin d’être acquis, est le fruit de longs mois de négociations, avec des oppositions qui se sont fait entendre jusqu’au dernier moment. C’est donc un "ouf" de soulagement qu’ont poussé les gouvernements et les acteurs du secteur, vendredi 7 octobre, lorsque les 184 États membres de l’Organisation de l'aviation civile internationale (Oaci), réunis en assemblée générale, sont finalement parvenus à s’entendre.   

"Les pays ont réalisé des progrès diplomatiques considérables et très importants lors de cet événement, et sur des sujets d'une importance cruciale pour la durabilité future de notre planète et du système de transport aérien qui dessert et relie ses populations", s’est réjoui Juan Carlos Salazar, le secrétaire général de l'Oaci. "C'est un tournant dans les efforts pour décarboner le secteur aérien, avec des gouvernements et des industriels qui se dirigent désormais dans la même direction, au sein d'un cadre réglementaire commun", a ajouté Luis Felipe de Oliveira, le chef du Conseil international des aéroports (Airports Council International), qui représente 1 950 aéroports dans 185 pays.  

Le mécanisme Corsia revu à la baisse

Cet accord, qualifié par l’Oaci d’"historique", était très attendu car le secteur était l’un des seuls, avec le transport maritime international, à ne pas être régi par l’Accord de Paris, adopté en 2015 et imposant à tous les secteurs la neutralité carbone d’ici la moitié du siècle. Différents acteurs s’étaient par ailleurs engagés en parallèle, à l’instar de l'Association internationale du transport aérien (Iata), porte-voix des compagnies aériennes, qui avait franchi le pas il y a un an. Cette fois, les États aussi s’engagent afin d’accompagner cette transition, emmenant l’ensemble du transport aérien sur la voie de la neutralité.  

Le problème, c’est que pour arriver à zéro émission nette d’ici 2050, le principal levier envisagé est la compensation, au travers du mécanisme Corsia. Ce système, adopté en 2016, doit permettre au secteur de compenser la hausse de ses émissions afin de les maintenir à leur niveau moyen de 2019-2020, sur une base volontaire à partir de 2024 puis obligatoire à partir de 2027. Seulement, le système a une nouvelle fois été revu à la baisse lors de la réunion de l’Oaci. Si bien que selon les calculs de Transport & Environment (T&E), seulement 22% des émissions internationales totales seraient compensées d'ici 2030. En outre, les principaux marchés de l'aviation comme la Chine, la Russie, le Brésil et l'Inde n'appliquent pas le système, ce qui en affaiblit encore l'efficacité.  

"La décision de cette assemblée montre que l’Oaci continue d’adapter ses mesures au profit des intérêts de l’industrie et non du climat. Les pays, et en particulier l’Union européenne, doivent voir par-delà cet écran de fumée et aller de l’avant avec de véritables mesures durables ", exhorte Jo Dardenne, en charge de l'aviation au sein de T&E. L’ONG critique également le prix dérisoire des compensations, de l’ordre de deux euros par exemple sur un vol Londres - New York, et dénonce "une fraude climatique".  

Pas de réduction du trafic en vue

Preuve que l’industrie aérienne est peu allante sur le sujet du climat, une étude d’Influence Map révèle la forte présence de l’industrie fossile au sein du Comité de la protection de l'environnement en aviation (Caep), le principal organe de négociation sur le climat à l'Oaci. Les participants doivent également signer des accords de non-divulgation et les médias ne sont pas autorisés. "Des pratiques qui ne sont pas reproduites dans d'autres grands forums de négociation sur le climat au sein des Nations Unies", pointe le think tank.  

Des critiques reprises par les compagnies aériennes elles-mêmes. Tony Douglas, le PDG d'Etihad Airways, une compagnie basée à Dubaï, a déclaré en 2021 que la compensation était "un palliatif à court terme", tandis que le PDG d'United Airlines, Scott Kirby, notait que "la plupart des compensations carbone ne sont même pas réelles." Augustin de Romanet, le patron d’Aéroports de Paris, a défrayé la chronique en appelant le 19 septembre sur BFM Business à "un usage raisonnable de l’avion pour la période de transition qui va durer 20 ou 30 ans." Car le vrai sujet, qui n’est pas abordé à l’Oaci, est bien celui de la réduction du trafic aérien.

Concepcion Alvarez @conce1


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