Publié le 5 février 2025

Ce mercredi 5 février s’ouvrent à la Commission européenne deux journées de consultation en vue de la législation omnibus visant à simplifier le Green Deal européen. Des réunions à huis-clos où les lobbies des énergies fossiles et des secteurs les plus controversés, omniprésents, risquent de pousser pour une dérégulation massive, et un recul significatif notamment sur la CSRD et la directive sur le devoir de vigilance.

La simplification du Green Deal européen sera-t-elle dictée par les représentants d’intérêts du secteur privé ? La Commission européenne ouvre en tout cas mercredi 5 et jeudi 6 février, une “table ronde” réunissant différents acteurs européens pour poser les bases de la future loi omnibus sur la simplification de la directive sur le reporting de durabilité CSRD, de celle sur le devoir de vigilance (CS3D), ainsi que plusieurs cadres réglementaires liés à la transformation durable de l’économie. Deux jours de réunion qui se joueront à huis-clos, avec la présence massive des lobbies privés européens, alors que la position des représentants patronaux français, allemands et italiens sur la simplification vient de fuiter. Au programme : réduction considérable du nombre d’entreprises concernées, suspension du devoir de vigilance et suppression de la notion de responsabilité au-delà des fournisseurs directs, remise en cause implicite de la double matérialité pour le reporting, pour se concentrer sur “les indicateurs pertinents pour le management”

Au total, 31 entreprises sont ainsi sur la liste des invités, ainsi que 26 associations professionnelles, qui devraient défendre ces positions particulièrement anti-Green Deal. Parmi elles, le secteur des énergies fossiles est largement représenté, avec TotalEnergies, Engie l’italien ENI ou encore ExxonMobil, ainsi que les groupes de lobbying du secteur au niveau européen (Fuels Europe). On compte aussi la plupart des banques et des compagnies d’assurance du continent, dont Allianz, la Deutsche Bank, Société Générale, Generali, Intesa San Paolo, ou encore BBVA. Les industries de la construction, du ciment, de l’automobile (Volkswagen, Michelin, BMW…) ou encore du secteur aérien (Airbus) seront présentes. Une omniprésence des intérêts privés qui inquiète, alors que la table ronde ne comptera que dix organisations de la société civile et associations de protection des droits humains et environnementaux.

L’Europe envisage de supprimer la double matérialité, “cœur du Green Deal”

Sur-représentation des acteurs privés les plus controversés

“La liste des participants qui a fuité en fin de semaine dernière me fait craindre qu’il s’agisse d’une consultation totalement biaisée”, commente ainsi Pascal Canfin, eurodéputé Renew et ex-président de la Commission environnement au Parlement européen sur Linkedin, qui craint que la discussion soit dominée par une posture purement d’opposition à la transition écologique et sociale et que l’on perde les objectifs premiers du Green Deal. “Je suis assez inquiète car il n’y a que quatre compagnies pétrolières invitées à cette réunion, on devrait peut-être inviter toutes les autres ?”, ironisait ainsi en commission la député européenne social-démocrate néerlandaise Lara Wolters, rapporteuse de la directive sur le devoir de vigilance, votée en avril dernier. “Sur une note plus sérieuse, on voit que l’équilibre n’est pas bon, cela soulève la question de la manière dont la Commission va proposer un processus de discussion juste sur ce sujet crucial”, ajoutait l’eurodéputée.

Compte tenu des forces en présence, “les discussions annoncent réellement une restriction drastique du reporting, voulue par les entreprises” explique à Novethic la spécialiste du lobbying Valérie Gramond, et co-fondatrice de Greenlobby. “Les entreprises qui ont défendu la CSRD ou le devoir de vigilance ces dernières semaines ont été écartées au profit d’entreprises du secteur de la banque ou des énergies fossiles, qui se sont publiquement opposées au texte, le ton est donné”, commente de son côté Anthony Ratier, directeur des partenariats d’ESS Forum International, qui représente les entreprises de l’économie sociale et solidaire au niveau international. A noter notamment la présence de plusieurs entreprises mises en causes dans des affaires juridiques concernant leur conformité aux lois sur le devoir de vigilance françaises et allemandes (notamment TotalEnergies et BMW). “La Commission européenne semble vouloir aller encore plus loin que les propositions des pires pollueurs européens en matière de simplification”, indique à Novethic Marie Toussaint, eurodéputée écologiste.

“Un précédent extrêmement dangereux”

“Les coalitions d’investisseurs durables ne sont pas présentes non plus”, s’alarme Pascal Canfin, alors que la CSRD constitue selon lui “une grammaire commune pour les investisseurs et les entreprises”. Aucun acteur institutionnel de la finance durable ou de l’économie durable, ni aucune organisation dédiée à la responsabilité sociale des entreprises ne sera d’ailleurs partie prenante lors des débats. C’est donc tout un pan de l’économie, et notamment tous les acteurs engagés dans la transformation durable, qui sont de facto exclus des débats. Pour Richard Gardiner, expert des politiques européennes à la World Benchmarking Alliance, “ce processus risque de créer un précédent extrêmement dangereux, si la Commission européenne ignore pratiquement ses principes de Better Regulation”. Ceux-ci indiquent les contours d’un dialogue juste autour des règlementations européennes : transparence, justice des discussions, représentation des parties prenantes. Pour Valérie Gramond, “il aurait au contraire fallu réunir ceux qui partagent le même cap sur la transition écologique, et assumer de laisser de côté ceux qui veulent nous en détourner.” Parmi ceux qui partagent ce cap, 150 associations de la société civile, et 240 chercheurs et universitaires viennent de signer deux tribunes appelant à ne pas renoncer aux ambitions et aux objectifs du Green Deal. Mais pour l’heure, ils n’ont pas été conviés aux négociations.

Des négociations durant lesquelles, une heure seulement devrait être accordée aux débats sur chaque texte : CSRD, CS3D mais aussi taxonomie verte et mécanisme d’ajustement carbone aux frontières. Un procédé “préoccupant”, juge Pascal Canfin, qui fustige par exemple l’absence d’étude d’impact associée à cette simplification. “Ces législations ne sont même pas encore transposées, aucun examen de leurs impacts et aucune étude des réalités de la paperasserie dans les entreprises européennes n’a été conduit”, abonde Marie Toussaint, qui voit dans cette réunion une “manœuvre” de la Commission européenne pour affaiblir le Green Deal et le modèle de protection sociale et environnementale européen sous la pression des intérêts privés. “Nous avons mis cinq ans à négocier ces textes, la Commission semble vouloir trouver une position pour les renégocier en cinq mois… Cela ne peut pas se faire dans la précipitation”, conclut, inquiète, Lara Wolters, alors que le risque d’un retour en arrière massif sur le Green Deal européen semble se dessiner, sous la direction des grandes entreprises.

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