Pourquoi est-ce un problème que la décroissance soit encore considérée comme un “concept flou” ?
La décroissance est souvent vue uniquement comme la baisse du PIB par les économistes orthodoxes. Pour eux, ça se rapproche d’une récession voire d’une dépression. Mais ce n’est là qu’une conséquence potentielle, ce n’est pas l’objectif recherché. Ce qui est proposé c’est un changement de société. Certains ne l’ont toujours pas compris. Et n’arrivent toujours pas à sortir du dogme du PIB. Or celui-ci avait été lancé au milieu du XXe siècle pour mesurer l’activité économique et ainsi suivre les rapports de force entre les pays. C’était un outil d’aide à la décision et c’est devenu un objectif. Quand on le remet en question, on a l’impression qu’on ouvre la boîte de Pandore.
Vous appelez quant à vous au sein du mouvement de la décroissance à le remettre en question justement…
Plusieurs économistes renommés, spécialistes des inégalités, ont eux aussi reconnu que tout ne pouvait pas être résumé à un seul indicateur. On sait pourtant qu’à partir d’un certain niveau de PIB par habitant, il n’y a plus d’augmentation du bonheur, voire une baisse. Il devient donc indispensable de repenser le modèle de fonctionnement de l’économie, notamment en Europe et aux Etats-Unis.
Jean-Pisany Ferry appelle à se doter d’une mesure corrigée des effets de l’activité sur l’environnement et cite notamment le PIN (Produit intérieur net) ajusté des dommages créés par les dérèglements climatiques afin de mesurer la performance économique d’un pays. Qu’en pensez-vous ?
Pour moi qui ait été formé à la biologie de la conservation, je regrette que très souvent dans les discours politiques et dans les médias en général, mais également dans certaines disciplines académiques, on résume la problématique environnementale à la question climatique, et on laisse de côté celle de la biodiversité. Or, l’économie est incapable de mesurer la perte de biodiversité et de la monétariser. C’est déjà compliqué pour le climat mais c’est simplement impossible pour la nature. On voit donc que créer un nouvel indicateur ne résoudra rien.
Comment imposer davantage la décroissance dans le débat public ?
Il y a plusieurs pistes. Cela passe notamment par le lien avec les décideurs. Les économistes orthodoxes, à l’instar de Jean Pisany-Ferry, ont l’oreille des politiques, on leur demande régulièrement des rapports. Mais les places sont limitées, voire inexistantes pour les économistes hétérodoxes dans les instituts de recherche. Or, il faudrait permettre un renouveau dans les écoles de pensée pour que cela infuse au niveau politique. Un autre obstacle repose dans la difficulté pour les politiques d’assumer qu’avec la décroissance il y aura moins de productivité donc moins de richesses produites mais plus de travail. Comment rémunérer ce travail supplémentaire ? La question de la répartition des richesses devra se poser…
Il y a quand même des raisons d’être optimistes ?
Sur le plan académique, la courbe de publications concernant la décroissance est exponentielle. Pour la petite histoire, la chronique de Jean Pisany-Ferry a été publiée au lendemain de la clôture de la conférence internationale organisée conjointement par l’lnternational Society for Ecological Economics et l’International Degrowth Conference. Au début, la décroissance était un microcosme hébergé par l’économie écologique, mais aujourd’hui, la tendance s’est inversée. Il y a eu probablement plus de présentations sur la décroissance que sur l’économie écologique lors de cette conférence. Je pense que parmi les travaux à mener désormais, il faut montrer concrètement ce que la décroissance peut changer dans la vie de tous les jours, comment cela peut augmenter le bien-être de façon tangible, comment on peut vivre tout aussi bien mais différemment, en gagnant en autonomie : en redevenant capable de produire en partie sa nourriture, son énergie par exemple ; en s’organisant collectivement pour répartir le travail ou encore en démocratisant bien plus profondément notre société.
Lire la chronique de Jean Pisany-Ferry ici et la tribune chercheurs du courant de l’économie écologique là.