La France va-t-elle faire capoter le Green Deal et la législation environnementale européenne ? A en croire les informations qui convergent depuis Bruxelles, les représentants français à l’Union européenne seraient en tout cas en train de faire pression pour déréguler massivement et détricoter de nombreuses réglementations liées à la transformation écologique et sociale. En première ligne : Bercy et le ministre de l’économie Eric Lombard, qui ont, lors du conseil économique et financier des 20 et 21 janvier, défendu une posture de recul massif sur plusieurs législations issues du Green Deal, dont la CSRD, directive sur le reporting de durabilité, la CS3D, directive sur le devoir de vigilance, ou encore la taxonomie.
Novethic a ainsi pu consulter plusieurs documents du ministère où est détaillée la position des autorités françaises en vue de la législation omnibus, qui doit être présentée le 26 février prochain. Réduction “drastique” des obligations, rehaussement des seuils d’application des obligations environnementales pour les entreprises, report “sine die” de certaines législations, “pause règlementaire massive”…
“Vider de sa substance” le Green Deal
“Les autorités souhaiteraient que les charges de rapportage soient considérablement allégées, en réduisant drastiquement le nombre d’indicateurs” mentionnent ainsi les documents à propos de la directive sur le reporting de durabilité. La CSRD, qui demande aux grandes entreprises depuis le 1er janvier de rendre compte de leurs impacts sur l’environnement et sur les travailleurs, serait ainsi réduite à peau de chagrin. Les autorités françaises souhaitent également modifier les seuils d’applications de la directive : les obligations de reporting seraient désormais réservées aux entreprises de plus de 1 500 salariés et moins de 1,5 milliard d’euros de chiffre d’affaires, (contre 250 salariés actuellement). Pour les entreprises en dessous de ces seuils, “les informations à rapporter doivent rester très simples, au plus quelques dizaines de points” précise le texte. En substance, la France pousse pour réduire massivement les obligations de transparence environnementale et sociale. “Diviser par 10 les points de données, n’est-ce pas vider de sa substance la CSRD ?”, s’interroge sur LinkedIn Alexandre Rambaud, co-fondateur de la Chaire sur la comptabilité écologique et expert de la comptabilité extra-financière.
La France propose ainsi de limiter les obligations de reporting “en les ciblant sur les objectifs climatiques”, évinçant donc les questions liées à la biodiversité, à la pollution des écosystèmes ou encore aux enjeux sociaux comme les conditions de travail ou la préservation des droits des travailleurs. Mais même sur la thématique climatique, la posture défendue par Bercy est synonyme de retour en arrière, puisqu’elle propose de supprimer l’obligation pour les entreprises de mettre en place des plans de transition climatiques fixant “des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre alignés sur l’Accord de Paris”. La disposition ouvrirait la porte à un greenwashing massif des entreprises en matière climatique.
Pause réglementaire massive, révision de nombreuses législations
En ce qui concerne le devoir de vigilance, la position de la France corrobore les annonces faites le 23 janvier par le ministre Eric Lombard, qui appelait à la “suspension” de la directive. Mais les documents parlent cette fois d’un report “sine die”, accompagné d’un affaiblissement considérable des ambitions du texte. En plus de la suppression de l’obligation de résultat en matière de prévention des risques humains et environnementaux, la France propose de limiter l’application de la directive aux entreprises de plus 5 000 salariés, excluant ainsi près de 70% des entreprises européennes du champ de la directive. Une posture jugée “irresponsable” par un collectif d’organisations environnementales (Sherpa, Bloom, Reclaim Finance – ONG, CCFD-Terre Solidaire, Oxfam France, Notre Affaire à Tous, Les Amis de la Terre France…) et qui “risque de précipiter le détricotage d’un texte nécessaire face à la crise climatique et sociale.”
Outre ces deux législations emblématiques, la France propose de réviser le règlement Reach, qui encadre l’usage des produits toxiques en Europe, de limiter les obligations de transparence liées aux règlement IEP sur les émissions industrielles, qui prévoit notamment la transparence des données sur l’usage de l’eau, de l’énergie et des matières premières par les industriels, ou encore la simplification des obligations en matière de données sur les pollutions aux micro-plastiques. Au total 18 réglementations, principalement environnementales et sociales, sont ciblées. La France plaide également pour “une pause réglementaire massive”, ainsi que la possibilité “d’envisager la révision de plusieurs législations, même adoptées récemment”. Parmi celles qui pourraient prochainement faire l’objet de révisions : la directive Green Claims pour lutter contre le greenwashing, le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, la directive sur le droit à la réparation… Autant de normes jugées trop contraignantes par les lobbies économiques, et accusées de peser sur la compétitivité. Contacté, le ministère de l’économie n’a pour l’heure pas répondu à nos sollicitations.
Convergence franco-allemande contre le Green Deal
Pour la France, il s’agit en tout cas d’un changement majeur de posture vis-à-vis du Green Deal. Interrogée par Novethic, Marie Toussaint, eurodéputée écologiste, fustige ainsi le “revirement idéologique de la France” “qui avait été l’un des Etats alliés dans le travail mené en Europe pour civiliser l’économie, et dont le gouvernement succombe aujourd’hui à l’austérité et à la dérégulation les plus totales”. Les sources consultées par Novethic montrent en effet que le ministre de l’économie Eric Lombard partage désormais ses positions avec le ministre allemand Jörg Kukies, alors qu’en Allemagne, l’opposition aux normes de durabilité s’active depuis plusieurs semaines pour affaiblir le Green Deal. “Tous ceux qui pensent encore que le paquet de simplification omnibus de l’UE se résumera à quelques simplifications et alignements mineurs sont soit mal informés, soit naïfs…” commente ainsi sur LinkedIn Andreas Rasche, professeur spécialisé et Doyen adjoint à la Copenhagen Business School.
Au sein du gouvernement, une telle posture pourrait en tout cas créer des crispations, notamment avec le ministère de la transition écologique. En novembre dernier, au Forum Economie et Biodiversité, la ministre Agnès Pannier-Runacher, rappelait ainsi qu’il ne fallait “surtout pas reculer” sur la CSRD. “Je sais une chose, c’est que lorsqu’on en rabat sur l’ambition, on est sûr de rater l’objectif” déclarait-elle à l’époque. En désaccord visiblement avec l’occupant actuel de Bercy et la position du gouvernement français. Contactée pour réagir à la position d’Eric Lombard, l’équipe de la ministre n’a pas non plus répondu aux sollicitations de Novethic.