La transition écologique et sociale n’a plus autant la cote chez les dirigeants économiques. C’est en tout cas ce que révèle le dernier baromètre du cabinet Bain & Company, qui a analysé les études et sondages menées auprès de patrons et grands dirigeants en 2024. Selon les auteurs du rapport, l’intérêt pour la durabilité, la RSE (Responsabilité sociale des entreprises) et les transitions écologiques et sociales s’est effondrée depuis un peu plus d’un an. En cause ? Les préoccupations croissantes pour l’inflation, l’instabilité économique et géopolitique, ou encore les bouleversements technologiques liés à l’intelligence artificielle, qui ont progressivement fait passer les enjeux liés à la soutenabilité des modèles d’affaires au second plan.
D’après les données agrégées par Bain & Company, la préoccupation pour la transition écologique et sociale a ainsi baissé de près de 30% chez les dirigeants économiques, retrouvant ses niveaux d’avant Covid. Alors que la crise sanitaire avait fait prendre conscience à de nombreux acteurs économiques de la nécessité de repenser durablement les entreprises, et de trouver des modèles plus résilients et plus écologiques, il semble que la période actuelle constitue un vrai retour en arrière.
La RSE et la transition écologique et sociale moins prioritaires pour les entreprises
Selon les auteurs du rapport, la RSE est en plein “creux de la désillusion”, période caractérisée par “une prise de conscience [par les dirigeants] que la transformation ne sera pas aussi rapide ni aussi facile que prévu”. Un constat observé également par Charlotte Guériaux, fondatrice du cabinet de conseil Transition & Co : “Il est vrai que, dans un contexte de crise économique, marqué par l’inflation et les défis de compétitivité, certaines entreprises peuvent être tentées de reléguer la RSE au second plan”.
Les dirigeants tendent en effet encore à percevoir la RSE comme “une source de coûts élevés, avec un retour sur investissement incertain”, comme l’explique le rapport. Ils repoussent ainsi les investissements stratégiques dans la décarbonation ou la transformation durable lorsque d’autres priorités émergent, en l’occurrence, la crise inflationniste et les contraintes posées par les conflits commerciaux internationaux ou encore les transformations technologiques. En Europe, plusieurs groupes patronaux, dont le Medef ou encore BusinessEurope, ont ainsi remis en cause les nouvelles réglementations RSE comme la directive sur le reporting de durabilité (CSRD) ou la loi sur le devoir de vigilance européen (CSDDD), au nom notamment des préoccupations économiques de court terme.
Les dirigeants en décalage avec les attentes des consommateurs
Interrogée par Novethic, Charlotte Guériaux estime pourtant que “renoncer à investir dans la transformation durable serait une erreur stratégique.” Pour l’experte, si “la durabilité et la responsabilité sociétale peuvent certes représenter des coûts à court terme, elles ne sont pas pour autant des freins à la performance économique sur du temps long”. Au contraire, même, puisqu’“elles favorisent l’innovation, ouvrent l’accès à des financements responsables (comme les green bonds ou les sustainability-linked loans), permettent une meilleure gestion des risques, favorisent une meilleure optimisation des ressources, la sécurisation des chaînes d’approvisionnement, ou encore l’anticipation des futures régulations”, explique-t-elle.
Par ailleurs, en mettant la RSE au second plan, les dirigeants économiques se placent en décalage avec les attentes d’une part croissante des consommateurs. Le rapport Bain & Company montre ainsi qu’une majorité de citoyens sont de plus en plus préoccupés par les enjeux environnementaux et sociaux, notamment parce qu’ils vivent de plus en plus personnellement les conséquences de la crise écologique et sociale (événements climatiques extrêmes, inondations, chaleurs extrêmes…). Près d’un citoyen sur deux déclare d’ailleurs que cela les pousse à se tourner vers des produits plus écologiques. Il y a donc une véritable opportunité à saisir pour les entreprises, qui peuvent être pionnières et capter de nouveaux marchés si elles continuent à se saisir des enjeux de durabilité. “On est à un point de bascule” analyse Charlotte Guériaux. “L’Europe et les entreprises européennes ont un rôle stratégique à jouer dans la définition d’un modèle de compétitivité fondé sur des valeurs responsables, et c’est dans cet équilibre entre innovation, compétitivité et durabilité que réside la clé de la résilience future des entreprises” conclut-elle. A condition toutefois de ne pas sacrifier la durabilité pour des préoccupations de court terme, comme le proposait encore tout récemment le rapport Draghi, qui appelait à reculer sur les réglementations durables, au nom de la compétitivité en Europe…