Les réglementations européennes sur la durabilité sont-elles sur la sellette ? Le rapport sur la compétitivité européenne remis lundi 9 septembre à la Commission Européenne par Mario Draghi, ancien président de la Banque Centrale Européenne, charge en tout cas lourdement plusieurs réglementations écologiques et sociales européennes, les accusant d’être une contrainte trop forte sur la compétitivité des entreprises européennes. Alors que les institutions européennes ont mis le sujet de la compétitivité au cœur de leurs préoccupations, face aux concurrences chinoise et américaine notamment, les conclusions du rapport, qui recommande notamment une très forte simplification réglementaire, pourraient signer l’arrêt des progrès européens en matière de réglementations sociales et environnementales.
“Le cadre de l’UE en matière de reporting sur la durabilité et de vigilance raisonnable constitue une source majeure de fardeau réglementaire”, expliquent ainsi les fonctionnaires de la Commission Européenne dans le rapport, pointant du doigt des réglementations qui se chevauchent, et le “manque d’orientations visant à faciliter l’application de règles complexes et à clarifier l’interaction entre les différents textes législatifs.” Parmi les réglementations visées, on trouve notamment la CSRD, la CSDDD, loi sur le devoir de vigilance, mais aussi la taxonomie verte, le réglement européen sur les déchets, la SFDR (réglementation sur la divulgation en matière de finance durable), ou encore le règlement Reach sur les produits chimiques et toxiques, des réglementations grâce auxquelles l’Union Européenne a fait figure de pionnier en matière de transition écologique et sociale.
“Une attaque contre les réglementations européennes sur la durabilité”
D’ores et déjà, certains s’inquiètent que ce rapport accablant puisse servir de base aux institutions européennes, et notamment à la Commission, pour remettre en cause les réglementations difficilement adoptées ces dernières années en Europe pour protéger les travailleurs, les consommateurs et les écosystèmes. Dans un communiqué, l’ONG environnementale Climate Action Network a ainsi relevé “des éléments de déréglementation inquiétants qui opposent les objectifs climatiques et environnementaux.” Interrogé par Novethic, Richard Gardiner, directeur des politiques européennes à la World Benchmarking Alliance considère quant à lui que ce rapport est “une véritable attaque contre les réglementations européennes sur la durabilité. Le rapport reprend clairement les éléments de langage de l’industrie sur le prétendu fardeau que constitue le cadre réglementaire européen sur la durabilité”, pointe-t-il, alors que depuis quelques années, les milieux industriels, mais aussi les forces politiques de droite et d’extrême droite en Europe ont opéré des attaques massives contres les réglementations écologiques européennes. La loi sur le devoir de vigilance européen (CSDDD), par exemple, avait été largement affaiblie il y a quelques mois sous la pression des conservateurs et des acteurs économiques, dont le Medef, qui avait alors qualifié la réforme de “menace réelle pour la compétitivité”. Cette fois-ci, l’application des recommandations du rapport pourrait bien “tuer la CSDDD”, juge Richard Gardiner.
Le rapport Draghi propose en effet de “rationaliser” l’acquis communautaire de manière systématique, notamment via la nomination d’un vice-président chargé de la simplification qui coordonnerait une nouvelle “banque d’évaluation” dont l’objectif serait de “tester” toutes les lois et réglementations européennes existantes. Objectif affiché : supprimer toutes les règles jugées trop lourdes, trop complexes, ou trop contraignantes, relever les seuils d’application, simplifier au maximum les procédures, décaler les agendas… Concrètement, le rapport Draghi ne dit pas officiellement que les réglementations européennes seront remises en cause, mais ses recommandations impliquent qu’un certain nombre d’entre elles pourraient être affaiblies, retardées. “La Commission pourrait déprioriser, ne pas mettre la pression aux Etats pour qu’ils transposent les textes, ne pas contraindre fortement les entreprises à appliquer les règles…”, explique Richard Gardiner.
Rapport Draghi : vers un blocage de la transition verte européenne ?
Faut-il alors craindre que la Commission enclenche un tel revirement sur la durabilité ? “Il faudra attendre de voir les nominations des commissaires européens et leurs lettres de mission par Ursula von der Leyen”, commente Richard Gardiner. “En fonction de ces nominations, on aura une meilleure idée de la voie que souhaite suivre la Commission, et de la manière dont elle entend suivre ou pas les recommandations du rapport”, ajoute-t-il. Attendues pour le mois d’octobre, les nominations aux postes de commissaires, ainsi que les missions qui leur seront données, permettront en effet de mieux identifier la voie que compte suivre la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, en matière de “simplification”. Mais sous pression d’un Parlement européen plus que jamais conservateur, avec une droite européenne divisée et une extrême droite très hostile aux avancées en matière écologique et sociale, elle pourrait être tentée de freiner en matière de transition verte… D’autant que Business Europe, dans un communiqué, s’est déjà réjoui de l’appel du rapport Draghi à “réduire les charges réglementaires pesant sur les entreprises.”
Mais un tel blocage constituerait un revers majeur pour le continent européen, historiquement plutôt proactif en matière de réglementations écologiques et sociales. La perte de cette dynamique pourrait d’ailleurs être dramatique pour l’Europe, et pour ses entreprises, alors que plusieurs récents sondages montrent que les acteurs privés perçoivent plutôt la CSRD et les autres réglementations européennes comme des opportunités, leur permettant de s’engager dans une transition qui fera des entreprises européennes des pionnières au niveau mondial.